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un petit laboratoire, le dépôt des cercueils et diverses annexes du service. Au niveau et en arrière du pavillon central, les deux ailes se raccordent par une vaste halle couverte et dallée qui est le cœur même de la maison et qui en commande toutes les issues ; c’est là que sont d’abord déposés les cadavres à leur arrivée à la Morgue ; c’est là qu’on les examine, qu’on les déshabille et qu’on fait la toilette dont ils ont souvent grand besoin, avant de les introduire dans la salle d’exposition ; c’est là aussi que se font les reconnaissances et les levées de corps au moment de l’ensevelissement.

Bien plus vaste qu’on ne le croirait à première vue, couvrant un espace de 1,400 mètres carrés, la Morgue possède encore des sous-sols considérables qu’on ne peut malheureusement utiliser en raison des infiltrations de la Seine. Rien n’est d’ailleurs plus mauvais que le terrain de fondation de l’édifice : formé de gravois et de décombres provenant de la construction de la cathédrale, il est appelé, dans un vieux cartulaire de 1258, du nom significatif de mota papalordorum, la « motte aux gens d’église, » et ne prit que plus tard celui de Terrail, puis de « terrain Notre-Dame. » C’est un sol très instable, constamment battu par le fleuve, dont le courant est assez fort dans ces parages. Les bâtimens actuels, construits en 1864, sont ainsi exposés à un travail de lente destruction contre lequel il faut soutenir une défense sérieuse.

Ils ne touchent pas directement à la Seine, dont ils sont séparés sur toute leur longueur par un chemin de ronde assez large pour la circulation des voitures et venant aboutir au hangar couvert dont nous parlions tout à l’heure. Un très haut grillage, qui court tout le long du parapet, transforme le chemin de ronde en couloir à ciel ouvert et le protège contre tous les regards indiscrets ; c’est ce grillage qui donne à la Morgue, vue du fleuve, l’aspect d’une maison sinistre où il se passe beaucoup de choses qui ne regardent pas les voisins.

Par sa façade de la place, elle est, au contraire, ouverte à tout venant : hommes, femmes, enfans de tous les âges se coudoient et se bousculent de huit heures du matin à la nuit tombante dans la galerie du public. C’est à la petite porte de gauche, au-dessus de laquelle est écrit le mot « greffe » en grosses lettres rouges, que commencent les difficultés. Le gardien est là, véritable cerbère, qui défend le seuil avec la dignité d’un homme dont la vertu souvent tentée résiste toujours. Il connaît tous les genres d’amateurs, depuis l’effronté qui demande sans sourciller « si on ne peut pas visiter l’intérieur, » jusqu’au timide qui cherche des périphrases pour exprimer son désir et qui, confus et très poli, ne manque