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Malgré le ton un peu emphatique de ces assurances, Boufflers n’était pas, ou du moins ne iut pas longtemps dupe lui-même de l’illusion qu’il voulait causer. Pendant qu’il tenait en public ce langage retentissant, il prenait connaissance de la véritable situation et se mit discrètement en devoir d’avertir que la partie était très compromise et ne pouvait, en réalité, être continuée dans de telles conditions. Le peuple, plein de courage, était sans discipline et sans habitude des armes : les patriciens qui composaient le gouvernement suivaient mollement un mouvement qu’ils n’avaient pas provoqué, et, tremblant pour leurs biens, leurs personnes et leurs familles, étaient disposés, au fond de l’âme, à accepter les conditions de l’Autriche, pourvu qu’on leur offrît quelque accommodement raisonnable, Boufflers ajoutait que l’argent faisait défaut, que les fonds qu’il avait apportés ne tarderaient pas à être épuisés, et il concluait que, ne pouvant rien avec les ressources dont il disposait, un secours devait lui être donné au plus tôt, si on ne voulait pas qu’une aventure, si glorieuse à son début, finît d’une façon aussi triste pour les Génois que ridicule pour lui-même et pour la couronne de France[1].

Ni Belle-Isle ni La Mina, informés du péril et de l’urgence par des émissaires qui traversaient les lignes des assiégeans, ne pouvaient méconnaître la nécessité de répondre promptement à l’appel qui leur était adressé avec tant d’insistance. Mais ce fut sur le moyen le plus efficace d’apporter le secours réclamé que leur désaccord prit naissance. Le plus simple, celui qui se présentait le plus naturellement à l’esprit et auquel tout le monde était préparé, c’était, une fois la capitulation de Vintimille obtenue, de continuer à marcher résolument le long de la côte et d’arriver ainsi par Oneille, Finale et Savone sur les derrières des assiégeans. C’était l’avis de La Mina, qui ne paraissait même pas admettre qu’un autre plan pût être suivi. Belle-Isle, à la surprise assez générale, ne partagea point ce sentiment; quelque naturelle que fût la voie indiquée, il ne la trouvait ni facile ni sûre. Bien de plus imprudent, suivant lui, que d’engager deux armées, qui réunies formaient plus de cent mille hommes, dans le chemin étroit et resserré, coupé de torrens et d’accidens de toute nature, qui circule pendant une distance de plus de quarante lieues le long de la mer et au pied des montagnes, de Vintimille jusqu’à Gênes. Il représenta vivement, pour emprunter les expressions d’un historien militaire de nos jours, « le danger de s’avancer ainsi sur une route hérissée de mauvais pas, où l’on ne pouvait marcher qu’un à un, la difficulté

  1. Boufflers à Puisieulx, 9, 17, 23 mai 1747. (Correspondance de Gênes.— Ministère des affaires étrangères.)