Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/261

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la disgrâce de son frère, en voulait toujours au maréchal de Saxe de l’avoir provoquée, laissa clairement entendre qu’il était de l’avis des mécontens.

Ce n’était pas cependant que, pour faire prendre patience à son monde, Maurice n’eût pris soin, cette fois encore, de lui procurer des divertissemens. L’inappréciable Favart était revenu, prenant autant que jamais son rôle de chantre de l’armée au sérieux, et pour ne favoriser personne et ne point faire de jaloux, sa troupe était divisée en deux bandes, dont l’une faisait son joyeux office à Namur, où le comte de Clermont tenait garnison, et l’autre auprès de Louvain, ayant l’honneur de distraire, à l’occasion, le maréchal et le roi lui-même. Les rivalités et les querelles de ces deux compagnies donnaient lieu (ce sont les correspondances quasi-officielles elles-mêmes qui l’attestent) à des scènes dignes du roman comique et presque aussi amusantes que les pièces de leur répertoire.

Je recommanderais volontiers à ceux qui voudraient faire une étude de mœurs peignant bien la physionomie de cette armée aussi brillante que frivole, toute une série de lettres échangées, presque sans rire, au milieu des rapports et des ordres de service entre le comte de Clermont et le comte de Saint-Germain (plus tard ministre de la guerre et fameux à plus d’un titre), au sujet d’une petite actrice qui veut quitter sa troupe pour passer dans la rivale, et que son directeur veut retenir malgré elle. Le prince se vante d’être le défenseur des princesses affligées, et le général accepte le rôle du seigneur châtelain qui les délivre, « bien que, dit-il, tout Louvain soit en deuil, et que le directeur, au désespoir, veuille se passer l’épée au travers du corps; et souhaite que la captive affranchie témoigne à son libérateur sa reconnaissance. » Le prince l’en remercie, « mais quant à la reconnaissance, ajoute-t-il, vous savez que selon les règles du roman, le cavalier doit courir bien longtemps avec son héroïne en linge sale et en pierreries, avant d’oser seulement la toucher du bout du doigt. »

Une aventure non moins réjouissante est celle de la demoiselle Grimaldi qui, voyageant sans escorte, est surprise par un parti de hussards autrichiens et, qui, au moment où ses défenseurs vont dégainer pour la protéger, se jette entre les combattans, dans un négligé plus que galant, en suppliant qu’afin d’éviter l’effusion du sang, on la prenne pour seule victime du combat. Enfin celui qui prête, sans le savoir, le plus à rire, c’est le pauvre Favart lui-même, risquant, à plus d’une reprise, d’être enlevé dans ses tournées d’inspection, et qui, une fois entre autres, pour rester