Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/259

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ajoute-t-il, cette conduite a été jugée trop unie, et on a jugé à propos d’opérer et de provoquer les événemens[1]. »

Qui voudrait le croire, en effet, si ces paroles un peu tristes n’en étaient le témoignage assuré? Tout l’éclat, tout l’enchantement des premiers succès si rapidement obtenus en quelques semaines ne devaient pas suffire pour affranchir Maurice cette année plus que la précédente de la critique frivole des impatiens et des envieux. On s’accoutume d’ailleurs vite aux prodiges, et la curiosité éveillée en attend et bientôt en exige chaque jour de nouveaux. On s’était habitué à apprendre par chaque courrier la prise d’une ville et la capitulation d’une garnison. Quand cette marche triomphale fut un instant interrompue, ce fut une déception que vint accroître la douloureuse impression causée par la défaite de la marine française au cap Finistère. On croyait marcher à une prompte fin : tout était donc encore une fois suspendu et à recommencer. Les murmures se firent de nouveau entendre à la cour, à Paris et à l’armée, et Maurice étant, parmi les puissans du jour, le plus en vue et le plus en crédit, s’y vit tout particulièrement exposé. Il était impossible, à la vérité, après l’épreuve qu’on venait de faire, d’accuser la lenteur et la timidité de ses conceptions; aussi on se rabattit sur une imputation d’un autre genre : c’était bien lui, dit-on, qui, pouvant tout terminer par un coup d’éclat, se refusait à toute action décisive pour prolonger avec la guerre la position dominante qu’elle lui assurait et l’apparence comme les agrémens d’une véritable souveraineté exercée sur les provinces conquises. Il était le roi des Pays-Bas et voulait le rester : — « M. le maréchal de Saxe, écrit Chambrier (à la suite d’une conversation avec quelqu’un, dit-il, qui voit clair), regardera toujours son intérêt personnel;... il aime la conquête qu’il a faite pour le bien qui lui en revient, et au comte de Lowendal, son favori. Le maréchal de Saxe est, dit-on, comme le souverain des Pays-Bas autrichiens : il y taille, il y rogne comme il lui plaît : cette position est trop flatteuse pour lui pour qu’il risque de la perdre sans y être forcé... Ses envieux disent qu’il se soucie médiocrement que la guerre finisse, parce qu’il lui est bien plus avantageux de toutes les façons que la situation brillante dans laquelle il est se prolonge le plus longtemps possible, que de se retirer à Chambord, de n’être plus rien et d’être exposé aux critiques qu’on pourra faire sur son compte lorsque personne ne le craindra et ne croira pas en avoir besoin[2]. »

  1. Maurice au maréchal de Noailles, 17 août 1747. (Ministère de la guerre.) On verra plus loin à quelle occasion fut écrite la lettre où se trouve ce passage.
  2. Chambrier à Frédéric, 16 juin 1747. (Ministère des affaires étrangères.)