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laisser échapper cette sanction suprême semble l’obséder, et si on ne craignait de faire trop d’honneur à sa conscience en le supposant capable d’un scrupule, on dirait, à certains momens, qu’il ne se croira complètement maître d’un bien acquis par la force que lorsqu’une consécration unanime en aura fait disparaître le vice originel. Mais quel moyen plus assuré d’arriver à être ainsi confirmé par tout le monde que de rester immobile au-dessus des orages dans la situation supérieure que la victoire lui a faite? De quelque côté que la balance penche à la dernière heure, quels que soient les vainqueurs ou les vaincus, s’il a eu l’art de n’offenser mortellement personne, il trouvera dans les rangs des uns comme des autres des avocats pour plaider et gagner sa cause. Ce sera, ou la France, qui a proclamé d’avance que la Silésie, passée des mains de l’Autriche à celles de la Prusse, avait à ses yeux le caractère d’une conquête personnelle et suffisait pour la payer de tous ses sacrifices ; ou l’Angleterre, qui s’est déjà portée caution de toutes les cessions faites à Dresde et à Breslau, et ne laissera pas protester sa signature. L’objet désiré va donc tomber tout naturellement entre ses mains, pourvu qu’il sache rester en repos et ne rien commettre de nouveau à la fortune des combats.

Aussi, point d’intervention, pas même de médiation, dussent un roi à Versailles et une république à La Haye se mettre à ses pieds pour le conjurer de se faire l’arbitre de leurs prétentions. Les médiations font toujours un et le plus souvent deux mécontens, c’est ce qu’il veut surtout éviter. Son rôle est de sourire à droite et à gauche et de faire entendre, aux échos des deux côtés, des appels à la conciliation. Rien n’est curieux et parfois comique comme de voir ainsi celui-là même qui, mettant le premier le feu à la mèche, a allumé l’incendie qui embrase en ce moment l’Europe, se présenter gravement au monde comme un modérateur suprême, exempt de toutes les passions qu’il a déchaînées, puis de l’entendre pleurer sur les maux des peuples et entonner une véritable idylle sur les bienfaits de la paix. — « A Vienne, écrit-il à son ministre Podewils, on me regarde comme un ennemi implacable; à Londres, on me croit plus remuant, plus ambitieux et plus riche que je ne suis; Bestucheff suppose que je suis vindicatif... Ils se trompent tous : détrompons l’Europe prévenue[1]. »

« — Monsieur mon cousin, écrit-il au prince d’Orange, qui lui a notifié son avènement... Vous allez maintenant monter sur un théâtre où vous pourrez déployer aux yeux de toute la terre ces vertus que, jusqu’à ce temps, vous ne renfermiez pas tant en vous-même que vos amis ne les connaissent. Vous trouverez les

  1. Pol. corr., t. V, p. 315.