Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/248

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la lutte, c’était un refroidissement très sensible survenu en Angleterre dans les sentimens belliqueux, non pas encore du roi, mais du parlement et du public. On n’en était plus à Londres à l’accès de confiance enthousiaste qui avait suivi l’écrasement de l’insurrection écossaise. Le retour du duc de Cumberland en Flandre n’avait nullement produit l’effet qu’on se promettait de la seule apparition du vainqueur de Culloden : c’était une déception que venait encore d’accroître l’échec de l’invasion autrichienne en Provence, objet un instant des espérances du fanatisme protestant. Et il n’en fallait pas moins inscrire au budget de la nouvelle année plus de deux millions de livres sterling pour l’entretien des troupes sur le continent et les subsides distribués aux souverains allemands : il n’était pas étonnant que cette proposition fût tristement accueillie. On avait espéré vaincre : il fallait encore combattre et toujours payer. La fatigue gagnait même les rangs ministériels et on disait aussi que, dans le cabinet, les avis étaient partagés et que plus d’un ministre, lassé de demander toujours de l’argent, eût été désireux de poser les armes. Les deux frères Pelham, qui présidaient le conseil, semblaient même s’être fait entre eux, pour conserver le pouvoir, un partage de rôles tout à fait significatif. Tandis que l’aîné, le duc de Newcastle, faisait sa cour au roi en partageant ses désirs guerriers, le cadet, chargé de conduire la majorité parlementaire, commençait à exprimer assez haut ses souhaits pacifiques et son dégoût de tant d’efforts stériles et ruineux. Un instant même on put croire que le parti de la paix allait l’emporter dans le ministère, quand on vit le secrétaire d’état chargé de la politique extérieure, lord Harrington, faire place à un successeur inattendu qui ne fut autre que le célèbre Chesterfield. Cet homme aimable, d’humeur conciliante, en relations affectueuses avec les principaux personnages de la cour de France, ne devait pas aimer la guerre, encore moins travailler à la faire durer.

Bien loin cependant qu’on dût voir dans cette nomination imprévue un acheminement vers cette paix qui devenait le vœu général, c’était plutôt le contraire qu’on devait attendre de la circonstance qui l’avait amenée. Si Harrington sortait du conseil, c’est qu’il avait découvert que le roi, se méfiant des instructions conciliantes qu’il avait pu donner à Sandwich à son départ pour Bréda, entretenait avec ce plénipotentiaire une correspondance secrète par le moyen du duc de Newcastle, afin de pouvoir prévenir à temps toute concession trop facile. Harrington s’étant montré justement piqué de cet espionnage royal, offrit sa démission qui fut immédiatement acceptée. Quant au choix, effectivement inattendu, de son successeur, il s’expliquait tout simplement par ce fait que Chesterfield, appelé par la lieutenance d’Irlande à entrer quelquefois en