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ne le rendrons jamais aussi Anglais que nous le voudrions, mais je réponds qu’il ne sera jamais Français[1]. »

On se rappelle quel trouble cette méfiance réciproque, entretenue entre les deux cours alliées, avait jeté déjà, à plus d’une reprise, sur le théâtre de la guerre où leurs armées devaient manœuvrer en commun, et par suite de quelles déplorables rivalités l’Italie septentrionale, un instant conquise, avait été perdue et le territoire français envahi. Il n’y avait malheureusement pas plus de garantie que par le passé et beaucoup moins d’espoir encore que ces fâcheux dissentimens ne se reproduiraient pas. La substitution de Belle-Isle à Maillebois, réclamée par la cour d’Espagne et accordée pour lui complaire, n’avait produit entre les deux états-majors en conflit qu’une conciliation momentanée. Le général espagnol, le marquis de La Mina, gardait toujours, avec ses ressentimens contre la prépondérance française, la prétention d’exercer, malgré le nombre et la qualité très inférieure des forces dont il disposait, la direction suprême des opérations. Belle-Isle, comme on le connaît, n’était pas homme à la lui céder sans contestation. De là, désaccord, incertitudes, fausses manœuvres et par suite nouvelles défaites et nouveaux désastres en perspective.

Heureusement pour la France, les mêmes divergences existaient avec un degré au moins égal d’acrimonie, dans les rangs des puissances coalisées contre elle. Je n’ai point à revenir sur ce que j’ai tant de fois fait connaître, — la querelle toujours ouverte entre l’Angleterre et l’Autriche, — chacune, au fond de l’âme, désirant que la paix fût conclue aux dépens de l’autre, — la méfiance trop fondée qu’avait dû laisser dans l’âme de Marie-Thérèse, contre les intentions suspectes du roi de Sardaigne, le souvenir d’une défection un instant consommée. Là aussi, ces soupçons réciproques, ce défaut de concert et d’union, se faisaient ressentir dans la conduite des opérations militaires; chacun des mouvemens exécutés en commun donnait lieu, soit dans l’action à de vives discussions, soit à des récriminations amères quand le succès n’avait pas répondu à l’espérance. Si l’Autriche accusait l’Angleterre d’avoir entraîné malgré elle ses troupes d’Italie dans la mauvaise campagne de Provence, l’Angleterre répondait en imputant les succès de Maurice de Saxe au retard et à l’insuffisance des contingens autrichiens envoyés en Flandre. C’est du reste l’histoire assez monotone de toutes les coalitions, et on peut la deviner d’avance sans qu’il soit nécessaire d’en signaler à chaque incident la répétition.

La seule modification notable que le cours d’une année eût apportée aux dispositions dans lesquelles les puissances alliées engageaient

  1. Coxe. — L’Espagne sous les rois de la maison de Bourbon t. IV, p. 60.