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ce souvenir, il n’en reste plus que ce qu’on peut voir au Champ de Mars : cette haute tour solitaire et froide, avec quelques-uns de ces édifices demeurés debout, un peu disparates, qui n’ont plus la vie et qu’on cherche à approprier aux usages les plus ordinaires. Les élections elles-mêmes, ces élections préservatrices, expression souveraine des vœux d’apaisement du pays, sont loin d’avoir tenu tout ce qu’elles promettaient. — Le rideau tombe encore une fois; mais pour aujourd’hui, vraiment, il ne tombe plus que sur une année assez médiocre, où l’on n’a peut-être fait ni tout le mal ni tout le bien qu’on aurait pu faire, où gouvernement et partis semblent n’avoir eu d’autre souci que de vivre avec leurs vieilles passions, avec leurs vieux préjugés, sans avoir le courage des résolutions décisives.

C’est en effet le caractère de cette année 1890 qui finit aujourd’hui, — qui a suivi l’année de l’exposition et des élections, — d’avoir été une période d’indécision et de halte, de s’être traînée sans éclat et sans accident jusqu’au bout. Elle a eu sans doute cela d’heureux qu’elle n’a rien aggravé, qu’elle n’a eu ni agitations nouvelles, ni complications violentes; elle n’a été marquée, non plus, par aucune amélioration sensible, décisive dans les affaires publiques, dans l’état moral des partis. On en est encore à s’observer, à se défier, à se débattre sous la pression de cette grande manifestation électorale qui est restée bon gré, mal gré, le point de départ d’une situation nouvelle. S’il y eut jamais cependant un scrutin significatif dans son ensemble, c’est ce scrutin de 1889, avec lequel on a tant rusé depuis. Le pays avait parlé aussi clairement, aussi distinctement qu’il pouvait parler dans le vacarme universel dont il était assourdi. Il avait mis dans son vote ce qu’il sentait intimement, ce qu’il pensait, ce qu’il voulait, — et ce qu’il voulait était bien simple. D’un seul coup, il avait balayé à peu près les agitateurs et les aventuriers, ceux qui se flattaient d’exploiter ses griefs et ses mécomptes pour l’entraîner dans tous les hasards, les fauteurs d’anarchie et les fauteurs de dictature. Il avait de plus attesté à sa manière ses instincts conservateurs, ou si l’on veut ses répugnances pour toutes les révolutions, en consacrant pour ainsi dire une fois encore par son vote, les institutions sous lesquelles il vit depuis vingt ans, — La république ; mais en même temps, à n’en pas douter, il s’était prononcé contre la politique de parti et de secte qui l’avait conduit à une crise redoutable, contre les guerres religieuses, contre les abus de domination, contre l’anarchie parlementaire et les confusions financières. De cette grande manifestation, en un mot, se dégageait une pensée d’apaisement, de conciliation et d’ordre. C’était si bien là l’état moral du pays, que la plupart des républicains eux-mêmes s’étudiaient à ménager l’opinion, à atténuer leurs programmes, à désavouer les violences persécutrices, — et à parler d’économies dans les finances ; ils