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quoi qu’il lui en coûte, il est tenu de les sacrifier et de n’avoir jamais d’autre favori que son peuple.

Guillaume II n’avait pas seulement décidé qu’il gouvernerait lui-même, il savait d’avance quel caractère il donnerait à son gouvernement. Il disait, il y a quelques jours, que nous vivons dans un âge de transition, dans un temps où beaucoup de changemens, de réformes, sont nécessaires : « Nous allons bientôt entrer dans un siècle nouveau. Mes ancêtres se sont toujours efforcés de tâter le pouls à leur époque et de prévoir le cours des événemens. Comme eux, je pense avoir reconnu de quel côté se dirigent les tendances du siècle qui touche à sa fin, et je suis décidé à suivre de nouvelles voies. » Les réformes sont heureuses ou malfaisantes, tout dépend de la façon dont on les opère; les remèdes sont des poisons si le médecin céleste ne s’en mêle. Les mauvaises réformes sont celles qui viennent d’en bas, celles qui émanent de la souveraineté du peuple ou de l’initiative d’une assemblée, celles qui se ressentent de l’influence de la révolution française. Le prince, qui est en haut, voit seul de haut les choses de ce monde, il connaît seul les vrais besoins des peuples, et il n’y a de bonnes réformes que celles où il met son empreinte et qu’il marque à son effigie.

Le jeune souverain était résolu à prendre place parmi les princes réformateurs; le rôle qu’il paraît ambitionner le plus est celui de directeur de l’esprit public. Il aspire à tout renouveler. Sans parler des innovations militaires qu’il médite, de la réforme sociale à laquelle il s’est si vaillamment attaqué, questions de costumes, de mœurs, de langue, de théâtre, il a déjà dit son mot sur tout. Ce mois-ci, c’est sur la réforme de l’enseignement secondaire qu’il s’est prononcé. Il avait convoqué à Berlin une grande commission, composée non-seulement d’hommes du métier, mais de membres du parlement, de hauts fonctionnaires, de publicistes, de grands industriels, de dignitaires de l’église. Le jeudi 4 décembre, il ouvrait la première séance de cette assemblée. Il a paru devant elle dans son uniforme de hussard, et, la main sur la poignée de son sabre, il lui a exposé son programme, lequel, quoi qu’en aient pu dire des étourdis, ne ressemble à aucun autre. Vérités et illusions, tout y porte la marque d’un roi de Prusse, empereur d’Allemagne, qui, en s’occupant de l’éducation de la jeunesse, songe beaucoup à lui et voit en elle l’instrument de ses desseins, instrumentum regni.

Le jeune empereur s’est plaint des abus du surmenage, et ce n’est pas là ce qu’il y a d’original dans son discours. Il paraît avoir gardé un fâcheux souvenir des années qu’on l’obligea de passer au lycée de Cassel. Un journal allemand a prétendu qu’il y avait trop de noir, des ombres trop fortes, dans la peinture qu’il en a faite, que nombre de