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que réside la république, et le seul vœu que nous puissions former, celui qui contient tous les autres, summa votorum, c’est de souhaiter un bon empereur; l’avoir, c’est tout avoir. » Et, s’adressant à Trajan : « Nous sommes flexibles sous ta main, nous te suivons partout où il te plaît de nous mener. Tu nous ordonnes d’être libres, nous le serons. » Être libre par ordre et parce que le prince le veut, c’est la vraie liberté dans tout véritable empire.

Dès son avènement, Guillaume II s’avisa que la situation de l’empire allemand avait quelque chose d’anormal, que les pouvoirs y étaient mal distribués, que l’empereur n’y était pas à sa vraie place. La condition qui lui était faite lui parut incompatible avec l’idée qu’il se faisait de ses fonctions souveraines et avec les fiertés de son jeune courage. Un homme de très haute taille s’était mis entre le trône et la nation et cachait le souverain à ses sujets. Par l’éclat des services rendus, par la puissance de son génie, par le prodigieux crédit dont il jouissait dans toute l’Europe, M. de Bismarck avait usurpé la première place; il était le centre où tout aboutissait, il était le maître des affaires. En tout ce qui ne concernait point l’armée, ce n’était pas l’empereur, c’était le chancelier qui gouvernait. Guillaume Ier avait consenti à ce partage inégal, il se tenait volontairement dans l’ombre ; il n’en sortait que par occasion et quand il plaisait à M. de Bismarck de le faire intervenir dans les débats publics.

Guillaume II ne pouvait se résigner à ce rôle effacé ni s’accommoder de la gênante et lourde tutelle d’un grand-vizir. Un autre se serait dit : « C’est un grand maître, et ses entretiens sont fort instructifs ; supportons-le. » Il s’est dit, au contraire : « Aussi longtemps qu’il sera là, je ne serai que le second; il mettra sa main dans tout ce que je ferai, et je ne pourrai entrer en communication directe avec mon peuple. » Il n’entendait pas, comme Ibrahim, traîner, exempt de périls, une éternelle enfance, et, avec une promptitude, une fermeté de résolution qui a étonné tout le monde, il signifia à M. de Bismarck qu’il se passerait désormais de ses services. Il a déclaré plus d’une fois que l’initiative doit émaner visiblement du souverain, qu’un véritable empereur doit avoir son sentiment personnel sur toutes les questions, être seul responsable de ses desseins et de ses actes et dire en toute rencontre ; Voilà ce que je pense, voilà ce que je veux. Dans son empressement à se montrer, à se découvrir, il ne s’est pas contenté de se débarrasser de son grand-vizir, il a successivement éloigné de lui tous les hommes marquans qui passaient pour posséder sa confiance, pour être fort avant dans ses bonnes grâces, pour exercer une influence décisive sur son esprit et ses déterminations. Un véritable empereur peut avoir des confidens, surtout quand il aime à parler; mais dès qu’on le soupçonne de les trop écouter, de se gouverner par leurs conseils,