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M. Adolphe Guillot ne s’arrête pas à mi-chemin. Ce criminaliste pratique, d’un esprit si judicieux et si mesuré, tendant la main, dans cette unique circonstance, aux anthropologues italiens, propose l’érection d’établissemens où l’on recevrait non-seulement les aliénés criminels proprement dits, mais les demi-criminels, les demi-responsables, qui, dans l’état actuel des choses, obtiennent « une complète et scandaleuse absolution. » La loi, croit-il, faute d’organiser les moyens de répression et de préservation, ne sait pas atteindre le crime s’il est conçu dans un cerveau détérioré par l’alcoolisme ou s’il procède d’une volonté qui s’émiette. Il hâte donc de ses vœux l’ouverture de quelques maisons « où l’on retiendra sous de solides verrous » ces demi-fous, ces « candidats à la folie » qui circulent aujourd’hui dans les rues. Il y a peut-être, en effet, une expérience de ce genre à faire ; mais j’en signale immédiatement le péril. Le nombre des « candidats à la folie » va démesurément s’accroître. Il y a déjà beaucoup trop de coquins qui se targuent, devant les tribunaux de répression, de n’être qu’à moitié responsables : les nouvelles recrues formeront une armée. Or la perspective des manicomes n’est pas effrayante : si le code pénal n’est plus appliqué que par exception, la société devra se tenir sur ses gardes et les honnêtes gens seront à plaindre. Pour conclure, si l’on ne se sentait pas à même d’apporter dans l’appréciation des « demi-responsabilités » une extrême circonspection unie à la plus inébranlable fermeté, mieux vaudrait ne pas tenter l’épreuve.


Comment n’être pas frappé du péril auquel la nouvelle école expose le corps social non-seulement par la substitution plus ou moins générale de l’asile ou de l’hôpital à la prison, mais avant tout pour la négation du libre arbitre ? Il est assurément difficile d’enlever à l’espèce humaine le sentiment de sa propre liberté : je n’ose cependant contester qu’on puisse parvenir à le voiler par un très grand effort, et j’admets qu’un certain nombre de gens, peut-être un peu plus disposés qu’il ne faut à se laisser convaincre, soient fascinés par les raisonnemens du déterminisme. Les conséquences de ce bouleversement moral sont incalculables ! La statistique nous révèle le nombre des meurtriers et des voleurs, mais non celui des hommes qui, sollicités par leurs passions ou par leurs besoins, se sont raidis contre la tentation de mal faire. Persuadez à ces derniers que la résistance est impossible, que « tous nos actes, comme le disait Mme Clémence Royer au congrès international de 1889, sont déterminés par notre nature physique, » que « notre pensée est aussi déterminée, » peut-on douter que la criminalité