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peine plus douce, astreignent souvent par des conclusions expresses, dans l’espérance d’obtenir un verdict négatif du jury, le tribunal correctionnel à constater sa propre incompétence : ne vaudrait-il pas mieux que la loi même eût d’avance dessaisi le jury ? Plusieurs hommes d’état se sont figuré qu’il fallait faire coïncider le droit à l’électorat et l’aptitude aux fonctions de juré. Si l’on s’entête dans cette idée, le mal est sans remède. Il faudrait avoir le courage de ne pas mêler la politique à tout ce qui lui échappe, et de laisser chaque chose à sa place. Il s’agit bien moins de faire participer le plus grand nombre à l’administration de la justice que de constituer un jury très éclairé, très solide, capable de ne se laisser ni séduire ni dominer. Qu’on fasse de bonnes listes, comme le demande M. Proal, et l’on aura du même coup vengé, relevé, consolidé le jury.

On sait que l’action pénale et la peine elle-même sont éteintes en général et dans notre pays en particulier, par un laps de temps assez court. Les criminologistes proposent de supprimer ou de restreindre à quelques cas cette double prescription, estimant sans doute que, si la criminalité doit être envisagée comme le résultat fatal d’une mauvaise organisation cérébrale ou d’une difformité morale héréditaire ou d’un état épileptoïde, il importe peu que le souvenir du délit commence à s’effacer : la société garde le même intérêt à réagir contre les élémens qui l’ont troublée et la troubleront encore. Tout en contestant les prémisses du raisonnement, je me demande s’il n’y a pas une part de vérité dans la conclusion. Des incendies ont ruiné quelque pauvre village, plusieurs assassinats y ont semé l’épouvante, et le souvenir de ces forfaits subsiste encore : l’intérêt social exige-t-il que l’incendiaire ou l’assassin puisse impunément, au bout de dix ans, proclamer son crime et s’en glorifier ? Il y a longtemps que Bentham demandait à la société de ne pas conclure un tel pacte avec les grands coupables.

La criminologie positiviste ne traite pas le droit de grâce avec une moindre défaveur et peut-être n’est-elle pas, sur ce point, en désaccord avec l’opinion publique. Celle-ci n’a plus, de nos jours, qu’un médiocre souci de l’ancienne prérogative royale, et pardonne aisément à Richelieu lui-même d’avoir « au fils du roi Henri rayé son droit de grâce. » Elle féliciterait plutôt le roi régnant de Suède et de Norvège, repoussant dans une circonstance mémorable deux demandes de commutation parce qu’il ne lui appartenait pas de supprimer d’un trait de plume une loi votée par les chambres et sanctionnée par la couronne. Au demeurant, elle désapprouve la grâce systématique et la grâce arbitraire : la première est une injure au législateur lui-même, dont elle critique et corrige