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une opération chirurgicale[1]. La science a de dures exigences, et ce sera, pour beaucoup de pays, un revirement pénible, la castration étant généralement regardée comme un crime des plus graves, par exemple en France, où elle est punie des travaux forcés à perpétuité. Cependant l’idée, toute scientifique qu’elle puisse être, ne pèche-t-elle pas par le côté pratique ? Outre qu’on ne peut voir apparaître sans inquiétude une nouvelle et nombreuse classe de fonctionnaires préposés à cette immense et délicate besogne, le législateur manquerait son but, croyons-nous, d’abord parce que beaucoup de délinquans ont déjà procréé des enfans avant d’être découverts et mis sous la main de la justice ; or ce serait le comble de l’extravagance que d’imposer l’infécondité sur de simples soupçons ou par voie de médication préventive. Mais la raison décisive est dans le vice de la théorie fondamentale. Il est établi, disions-nous, que la grande majorité des criminels est issue de parens honnêtes, et, par conséquent, le point de départ est faux. Le voleur et l’homicide n’engendrent pas le voleur et l’homicide comme la vipère engendre la vipère ; le fils d’un scélérat peut être un bienfaiteur de l’humanité. Cela suffit pour que l’homme ne s’arroge pas le droit de mutiler l’homme et d’empêcher la transmission de la vie.

La théorie de l’élimination se présente sous un aspect moins farouche depuis que la thèse du criminel aliéné se combine avec celle de l’atavisme, la pénètre et tend à la modifier. « Nous appelons de tous nos vœux, lit-on dans un rapport fait au congrès de Rome, en 1885, par M. Frigerio, le moment non éloigné où le triomphe de la méthode expérimentale arrachera des prisons les délinquans de naissance pour les confier aux cliniques criminalistes. » Les criminels vont évidemment profiter, dans cette nouvelle phase, des égards qu’on doit aux fous.

Tous les anthropologues n’assignent pas, à vrai dire, la même place à la folie dans le développement de la criminalité : — « Le criminel est un infirme et un malade, » écrivait en 1887 M. Acollas. Si l’on tombe dans cet excès de généralisation, si l’on se laisse aller à confondre la folie et la criminalité, le législateur n’a plus qu’à fermer les prisons en les remplaçant par des hôpitaux. Aussi M. Acollas supprime-t-il entièrement la peine pour lui substituer « le traitement le mieux approprié à l’état du délinquant. » — « Il n’y a pas encore un siècle, lit-on dans il Diritto di punire de M. Ferri, on punissait les fous comme les délinquans, parce qu’on imputait à la volonté malfaisante ce qui n’était l’effet que d’un organisme malade : le changement qui s’est produit dans la manière

  1. Criminologia, p. 269.