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moins quand on arrive à la phase définitive des débats, dans le cas où les indices organiques et psychiques relevés par l’anthropologie tendent à démontrer la culpabilité[1].

Depuis un demi-siècle, les législateurs ont cru non-seulement en France, en Belgique, en Italie, mais dans presque toute l’Europe, qu’il convenait d’apporter à la détention préventive tous les tempéramens conciliables avec les exigences de l’intérêt public : on a donc fait, à peu près partout, des lois sur la mise en liberté provisoire. Les criminalistes de l’ancienne école en critiquent certaines timidités ou certaines exagérations, mais en approuvent unanimement le principe, et les juges d’instruction les moins disposés à subir une réforme hâtive de la législation criminelle ne songent plus qu’à les perfectionner[2]. Au contraire, les anthropologues ne regardent, en général, la prolongation d’une détention préventive, même injuste, que comme un « accident désagréable, » et cette sorte d’erreur judiciaire n’est pas pour leur faire « jeter les hauts cris. » Aussi malmènent-ils la liberté provisoire : « Elle change, s’il faut en croire M. Garofalo, les tribunaux en théâtres à bouffonneries et à pochades, elle encourage le monde criminel, elle décourage la partie lésée et les témoins, elle démoralise la police ; l’absurde atteint son comble lorsqu’un premier jugement établit déjà la culpabilité. » Ces logiciens supposent évidemment que, l’inspection anthropologique et physiologique ou l’examen d’une généalogie étant défavorables à l’inculpé, la société ferait un métier de dupe en se dessaisissant un moment de sa capture. Singulière façon d’entendre et de rendre la justice !

C’est qu’il n’y a plus, à proprement parler, de justice. À la transformation de l’organisation judiciaire et de la procédure pénale succède nécessairement la suppression des pénalités. On peut dire que toute l’anthropologie criminelle aboutit à cette proposition de M. Ferri : « La société doit seulement considérer le délit comme l’effet d’anomalies individuelles ou comme un symptôme de pathologie sociale, réclamant de toute nécessité l’isolement des élémens d’infection et l’assainissement de l’atmosphère où s’en développent les germes. » C’est logique. Toute peine suppose un coupable, et la culpabilité suppose la responsabilité, par conséquent implique le libre arbitre. Or le libre arbitre est, pour la criminologie positiviste, la superstition qu’il faut extirper à tout prix. Ainsi la société peut assainir, isoler, éliminer : elle est décidément privée du droit de punir.

  1. Voir le chapitre IV des Nouveaux horizons, de M. Ferri.
  2. Voir l’ouvrage de M. Guillot, juge d’instruction à Paris, sur les Principes du nouveau code d’instruction criminelle (Paris, 1884), ch, IX.