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gens. Dans les jours d’orage, où les accès des épileptiques deviennent plus fréquens, les hôtes des prisons déchirent leurs vêtemens, brisent leur mobilier, frappent leurs surveillans. M. Lombroso remarque aussi chez les uns et chez les autres « la tendance au vagabondage, l’obscénité, la paresse, la vanité du délit, la graphomanie, l’argot, le tatouage, la dissimulation, l’absence de caractère, l’irritabilité instantanée, la mégalomanie, l’intermittence dans les sentimens et dans l’intelligence, la lâcheté, etc. » Parlant des criminels « passionnés, » il dit encore : « l’instantanéité, la conscience dans l’acte incriminé, l’éréthisme, la sensibilité exagérée dont ces gens sont dotés absolument comme quelques épileptiques, sont les anneaux qui renouent les deux phénomènes. »

Une objection saute aux yeux d’abord. On ne rencontre guère chez les criminels les symptômes de cette névrose à marche chronique que les savans, comme les gens du monde, nomment épilepsie. L’épileptique pâlit, pousse un cri, tombe ; les muscles se raidissent, la sensibilité s’efface et presque aussitôt les convulsions commencent ; il se tord, écume, grince des dents, se mord la langue : encore une fois ces phénomènes ne se reproduisent, en général, ni chez le délinquant né, ni chez le délinquant per impeto. C’est pourquoi les anthropologues usent et abusent des mots « épilepsie larvée ; » mais, une fois lancés, ils ne s’arrêtent plus, et M. Lombroso prétend établir, nul ne l’ignore, que le génie, cette manifestation éclatante de l’intelligence humaine, est une variété de l’épilepsie larvée. Ce ne sera pas, pour la postérité, l’une des moindres aberrations de l’esprit « scientifique » contemporain que d’avoir englobé dans une même « catégorie » Napoléon, Molière, Jules César, Pétrarque, Pierre le Grand, Mahomet, Haendel, Swift, Richelieu, Charles-Quint, Flaubert, Dostoïewski, saint Paul, et l’ignoble population des prisons ou des bagnes. Cette épilepsie larvée, qui mène à tout, qui fonde des religions ou des empires, inspire des sonnets immortels et donne le Misanthrope l’Avare au théâtre, en même temps qu’elle enfante des escrocs et des meurtriers, apparaît comme une véritable imagination, plus bizarre et plus conjecturale que les autres. M. le professeur Lacassagne a dit, avec une grande politesse, au congrès de Rome : « Tout en faisant les plus grandes réserves sur la théorie de mon savant ami M. Lombroso, je ne puis cependant m’empêcher d’objecter que le mot d’épilepsie larvée n’est pas assez nettement défini pour en faire l’équivalent de criminalité. » Je ne peux pas plus m’en empêcher que M. Lacassagne.

Mais comment concilier cette théorie de l’état épileptoïde avec la thèse de la régression atavique ? Je crois bien que M. Lombroso