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1889). Pas de compromis. Le criminel n’est pas seulement un arriéré, un traînard de l’armée civilisée en marche, comme l’enseigne timidement M. Lacassagne à la faculté de médecine de Lyon : c’est un néo-sauvage ou un néo-barbare, un revenant ou, comme disent les anthropologues, une « réapparition ancestrale. »

Il est vrai que les données de l’histoire gênent les théoriciens de la régression atavique. Sumner Maine, dans son Ancien droit Fustel de Coulanges, dans sa Cité antique ; Pictet, dans ses Origines indo-européennes ; d’Arbois de Jubainville, dans ses Études sur les anciens Celtes, ne nous représentent pas nos ancêtres historiques comme un troupeau de bêtes insensibles, impitoyables, volant, violant et tuant sans conscience du délit. Le docteur Letourneau, secrétaire général de la Société d’anthropologie, constate lui-même chez les Peaux-Rouges, chez les Gopas et les Koupnis d’Asie « le développement de sentimens altruistes » (pitié, dévoûment, etc.) ! c’est qu’on ne remonte pas assez haut, reprend la nouvelle école. Il faut se livrer à des sondages archéologiques, interroger, avec M. Colajanni, l’homme quaternaire, l’homme de l’âge de pierre. À vrai dire, le terrain se dérobe encore sous les pas des anthropologues, et les découvertes de la paléontologie donnent à penser que ni la probité ni la pitié n’étaient inconnues à ces hommes préhistoriques. Il faudra donc aller jusqu’aux anthropoïdes, et nous touchons au point culminant de l’atavisme préhumain. La voie avait été frayée par M. Lombroso, étudiant successivement, au premier chapitre de l’Uomo delinquente, « les apparences du crime dans les plantes et dans les animaux, » « les équivalens du crime et de la peine chez les animaux. » Mais qui ne voit que la science nouvelle, plongeant dans ces profondeurs, roule de conjecture en conjecture ? D’ailleurs, ces ancêtres, dont parlent avec irrévérence quelques enfans ingrats, ont aussi trouvé dans leur descendance de respectueux défenseurs. Brehm et d’autres observateurs nous signalent « la pieuse coopération, la mutuelle assistance et l’héroïque abnégation » des sociétés simiennes.

C’est ici qu’il convient de placer l’incident bizarre, presque comique, du 18 novembre 1885 au congrès anthropologique de Rome. Un irrégulier jeta le trouble dans le camp des criminalistes positivistes, qui bâtissent leur édifice scientifique sur le transformisme : le professeur Paul Albrecht, docteur en médecine et en philosophie, de Hambourg. Nous ne descendons pas des singes, au dire de ce savant anatomiste, car nous sommes singes nous-mêmes, mais, par malheur, singes d’une espèce très inférieure. Il est faux que l’homme criminel soit un être « anormal » et dégénéré : l’être