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CRIMES ET PEINES

Depuis une quinzaine d’années, plusieurs savans se sont avisés de changer la notion du droit pénal. Ce n’était pas une médiocre entreprise, car la nouvelle école se proposait d’établir que l’humanité tout entière avait, de tout temps, fait fausse route en s’attribuant le droit de punir. Elle remuait par là les assises mêmes des sociétés humaines. Il y avait tout un édifice à renverser, tout un édifice à bâtir. La science nouvelle à laquelle ce double rôle était assigné recevait ou prenait le nom d’anthropologie criminelle. Elle planta fièrement et solidement son drapeau sur le sol de l’Italie : là, de hardis pionniers commencèrent à déblayer le sol, d’infatigables apôtres donnèrent les premières leçons à l’Europe.

Le premier congrès international d’anthropologie criminelle s’était réuni, dès 1885, à Rome ; un autre se tint à Paris, en 1889, à la faveur de notre Exposition, sous la présidence d’un ministre français. En 1885, une seule revue, l’Archivio di psichiatria, scienze penali e antropologia criminale, propageait les idées des novateurs : ils ont aujourd’hui beaucoup d’autres publications importantes. Les hommes, les écrits se pressent, et si l’observateur attentif n’apercevait déjà plusieurs symptômes de décadence, on pourrait croire que l’heure de la moisson est proche.

Les disciples de cette école diffèrent, nous l’allons voir, sur les moyens d’arriver au but. Mais un lien commun les rattache l’un à l’autre : il faut extirper la doctrine, acceptée dans le monde entier, qui fait reposer la responsabilité pénale sur le discernement