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En revanche, il a dans les églises son appartement à lui, sa toilette, comme le Metatorion de Sainte-Sophie ou des Saints-Apôtres. L’empereur est chez lui dans la maison de Dieu, comme Dieu dans la maison de l’empereur.

On cite l’étiquette de la cour de France sous Louis XIV et ces cérémonies qui constituaient comme un « culte du roy. » Combien ce caractère de culte est plus marqué dans les pratiques de la cour byzantine ! Le même mot, offikia, sert à désigner les cérémonies ecclésiastiques et les cérémonies auliques; Codinus et le Porphyrogénète les décrivent dans le même ouvrage. La même formule sert à donner, pour les unes comme pour les autres, le signal de la fin. A l’issue de la messe, on dit : Ite missa est ; au palais, dans un grec barbare ou un latin corrompu, l’empereur dit au préposé : Apelthe, poièson minsas. Sous Louis XIV il y avait, au lever du roi, les entrées; à Byzance, cela s’appelle les vela (voiles ou levers de rideau). Dans un ordre immuable, le préposé introduit successivement les patrices, les magistri, les protospathaires et spathaires, les hypati (consuls), les stratores, les comtes, les candidats, puis les foules, sans cesse grossissantes, des officiers de terre et de mer et des fonctionnaires de tout ordre.

C’est encore le cérémonial qui détermine à quel jour l’empereur doit aller s’agenouiller à l’église des Saints-Apôtres devant les tombes de ses prédécesseurs ; se plonger, en lention ou chemise brodée d’or, dans le natatorion, piscine sacrée de Sainte-Marie des Blachernes; visiter le monastère des Sources, hors des murs, ou quelque autre sanctuaire; présider, dans son palais, à la fête des vendanges ou aux folies disciplinées du carnaval byzantin.

Avec une vie aussi sacerdotale, aussi occupée de représentation et d’offices, aussi accaparée par les prêtres et les dignitaires du palais, aussi minutieusement réglée par un rituel auguste et compliqué, est-il étonnant que la plupart des empereurs aient perdu toute initiative et toute énergie, que les Héraclius, les Basile Ier, les Nicéphore Phocas, les Zimiscès, les Basile II, aient été à Byzance des exceptions?

Encore n’avons-nous pas indiqué l’entrave la plus forte à toute activité : la vie du gynécée, l’influence des femmes, en particulier de l’impératrice.


ALFRED RAMBAUD.