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comme une idole d’Orient, parmi les flots d’encens et les chants d’église. Une étiquette plus rigide que ses vêtemens, fixée dans les plus infimes détails par le Livre des cérémonies, l’emprisonne plus étroitement encore. Elle lui dicte l’emploi de chaque jour de l’année, de chaque minute de la journée. Elle prescrit la forme de la couronne ou du vêtement qu’il doit porter dans chaque cérémonie. Ses changemens de costume sont aussi fréquens que ceux du patriarche officiant en grande pompe à Sainte-Sophie. Tantôt, il portera le diadème impérial, et tantôt la krinonia, décorée de lis en l’honneur de la Vierge. Il couvrira ses épaules tantôt du sagion et tantôt du tsitsakion, du dibètèsion ou du scaramangion aux fourrures précieuses. Il se chaussera des brodequins de pourpre ou des sandales dorées. Tous ces changemens s’opèrent derrière un voile tendu par des eunuques et par la main de ceux-ci ; car personne autre qu’eux ne peut mettre la main à cette toilette sacrée. Quand l’empereur s’agenouille pour la communion, deux ostiaires (huissiers eunuques) relèvent des deux côtés son vêtement sacerdotal, comme cela se pratique pour les agenouillemens du prêtre officiant. Ces draperies, ces couronnes, qui participent à la sainteté des cérémonies dont elles relèvent l’éclat, ne sont pas déposées ensuite dans une garde-robe profane ; on les conserve dans les sacristies ; on les étale sur l’autel de Sainte-Sophie, on les suspend aux voûtes du temple. C’est l’église qui est le vestiaire du Basileus. Si les rois barbares convoitent ces oripeaux augustes, on devra leur répondre qu’ils ont été apportés au grand Constantin par des anges du ciel, et que des maladies effroyables puniraient les sacrilèges qui oseraient s’en revêtir.

Le Basileus passe sa vie au milieu des cantiques, des psaumes, des processions. L’enceinte de son palais renferme moins d’appartemens que d’églises. Sa salle du trône est pleine de reliques : la verge de Moïse, la vraie croix, etc. Sa salle à manger, sa chambre à coucher, sont décorées des images gigantesques, sur fond d’or, du Christ sévère ou de la Théotokos impassible. Le papias ou concierge du « Palais gardé de Dieu » est un clerc. Les portes sont les portes saintes et, comme celles de l’iconostase, qui ne s’ouvrent pendant l’office qu’à de certains momens, elles ne roulent sur leurs gonds qu’à de certaines heures et se referment ensuite pour dérober aux profanes les mystères de l’intérieur. Tous les mois, on procède en grande pompe à la bénédiction de la demeure impériale; et, à travers les triclinia (salles à manger), les cubicula (chambres à coucher), les kœtones (salons ou boudoirs), on promène les saintes icônes. Le Basileus est dans son palais le commensal de Dieu, de la Vierge, des bienheureux et des anges.