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est si bien la dominante de cette monarchie que la distinction du civil et de l’ecclésiastique y est impossible : en quoi il diffère des royaumes d’Occident et se rapproche des monarchies khalifales. Entre l’Église et l’Etat, il n’y a pas lutte, mais harmonie, presque confusion. Il n’y a pas de honte pour le patriarche à être nommé par l’empereur, ni pour l’Eglise à être subordonnée à l’État, car l’État est à peine laïque. Ce n’est point une main profane que l’empereur étend sur elle quand il entreprend de la réformer : c’est elle-même qui se réforme par l’un de ses membres. Les princes les plus religieux, les plus étroitement dévots, comme Basile Ier ou Nicéphore Phocas, ne se font aucun scrupule de restreindre les abus du droit d’asile ou de limiter les possessions des couvens.

La hiérarchie civile de Byzance s’appelait la sainte-hiérarchie. L’empereur conférait une fonction ou une dignité comme il eût administré un sacrement: u Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, ma majesté, qui me vient de Dieu, te crée patrice. « Pour recevoir ce sacrement administratif, il fallait être en état de grâce, prêt à communier, et avoir la crainte du Seigneur. A Byzance, l’état de grâce aurait été l’état normal des consciences d’employés.

Les lois se promulguaient au nom du « Seigneur Jésus-Christ, notre maître. » En tête du code Justinien, à la place où dans nos codes modernes se trouverait l’exposé des principes, il n’est question que de la Trinité, de la foi catholique et des interdictions portées contre l’hérésie.

L’existence que l’étiquette byzantine imposait à l’empereur était vraiment une vie pontificale, pour emprunter une expression de Christine de Pisan à propos de la cour de Charles V. Son costume civil rappelait celui des prêtres; dessous, une longue chlamyde blanche qui est l’aube de notre clergé ; par-dessus, une sorte de longue chasuble couvrant les épaules et les bras, étincelante d’or et de pierreries, rigide et pesante comme une chape. La couronne, surmontée de la croix, est presque la tiare du patriarche et des métropolites de l’Église orientale; de cette couronne descendent, le long des deux joues, les praependulia, pendeloques ou rivières de diamans et de pierreries qui se rejoignent sous le menton. Le Basileus, ainsi accoutré, ne montre presque pas de visage, presque pas de mains, presque pas de chair, comme la Théotokos et les saints des icônes, dont l’image est cachée sous une croûte d’or et de gemmes. Ainsi immobilisé, emmailloté, étouffé, écrasé sous ce lourd et splendide appareil, le Basileus, assis roide sur le trône de Salomon, les mains occupées par les insignes impériaux, ne peut faire un mouvement ; il s’offre aux hommages des courtisans et à la piété du peuple dans une sorte d’immobilité hiératique,