Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/156

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

VII a publié une compilation infiniment détaillée, n’ont pas du tout le caractère militaire. Sur les monnaies, les empereurs nous apparaissent rarement sous l’armure, presque toujours avec les insignes de l’autorité pacifique : les longs vêtemens, le globe du monde, la main de justice, la croix, le code.

Le pouvoir impérial était despotique, et cependant survivait encore le souvenir des temps où le premier des Augustes n’avait été que princeps, le prince d’un sénat dans une république. De là, dans la langue officielle, un mélange singulier de jargon servile et de phraséologie républicaine. Depuis Dioclétien, les empereurs avaient emprunté aux despotes de l’Orient ces insignes royaux qui avaient été un objet de mépris et de haine pour les anciens Romains : le diadème et le trône. Leurs sujets s’intitulaient leurs esclaves (douloi). On se prosternait devant eux, on baisait leurs pieds. Pour donner un ordre, ils n’avaient pas besoin de parler : il leur suffisait de faire un signe imperceptible : « de la paupière, » dit le Livre des cérémonies. On ne parlait d’eux, ils ne parlaient d’eux-mêmes qu’en termes abstraits : « Votre Majesté, Notre Royauté. » — La litanie des épithètes fastueuses accolées à leur nom rivalisait de servilité avec celles que les Orientaux prodiguaient à leurs shahs, à leurs sultans, à leurs khalifes. Les statues des empereurs étaient honorées comme celles des saints : c’était même ce qui rendait si difficile aux princes iconoclastes de trouver de bonnes raisons contre les images des bienheureux. Le haut fonctionnaire ou le général victorieux qui recevait une lettre impériale, écrite à l’encre de cinabre et munie de la bulle d’or, avant de l’ouvrir, la portait à son front, à ses yeux, à ses lèvres, comme font les esclaves des sultans. Sans doute, la religion enseignait que l’empereur était mortel comme les autres hommes; l’expérience le prouvait; mais c’était comme homme, non comme Basileus, qu’il était mortel. Justin, successeur d’Anastase, annonçant aux soldats la fin de son prédécesseur, disait : — « Notre maître, en tant qu’homme, vient de mourir. »

Le pouvoir du prince était absolu et s’étendait sur tout, même sur la religion. Les lois, il les faisait et les défaisait, étant la loi vivante. Le prince avait autorité sur les mœurs, sur les modes. Le vieux Michel Stratiotique édicta une loi pour obliger les citoyens à porter la coiffure qui avait été en vogue au temps de sa première jeunesse, Théophile, devenu chauve, promulgua une Novelle enjoignant à tous de se raser la tête. Léon VI, intervenant dans l’art culinaire, interdisait de se nourrir du sang des animaux. Codinus déclare que l’empereur a le droit de changer la signification des mots : rien ne l’empêchait d’être le tyran des syllabes, comme essaya