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Renonçons donc à cette chimère : il a fallu toute la supériorité du génie de Léonard pour concilier des données aussi opposées que l’art et la science. Cette fusion, il ne l’a réalisée qu’incomplètement, et tout autre y aurait échoué.

Vers la fin de son séjour à Milan, sur un des feuillets du Codex Atlanticus, qui forme comme le palladium de la Bibliothèque Ambrosienne, Léonard dressa une liste de ses dessins. Malgré le laconisme de ce document, je le reproduirai ici, car il prouve la singulière dispersion de ses études, en même temps qu’il nous permet de plonger dans quelques-uns des plis mystérieux de son esprit : « Une tête déjeune homme de face avec une belle chevelure. Un grand nombre de fleurs copiées d’après nature. Une tête de face avec des cheveux frisés. Plusieurs saint Jérôme au-dessus d’une figure. Dessins de fourneaux. Une tête du duc. Beaucoup de dessins de groupes. Quatre dessins du tableau de Sant’ Angelo. Une petite composition historiée de Ghirolamo da Feghini. Une tête de Christ dessinée à la plume. Un saint Sébastien. Beaucoup de compositions d’anges. Une calcédoine (probablement un camée antique). Une tête de profil avec une belle chevelure. Quelques coupes en perspective. Quelques instrumens pour des navires. Quelques instrumens à eau. Une tête d’Atalante (Atalante de Migliorotti, l’élève de Léonard) levant les regards. Une tête de Geronim da Feghine. La tête de Jean Francesco Borro. Beaucoup de gorges de vieilles femmes. Beaucoup de têtes de vieillards. Beaucoup de figures nues en pied. Beaucoup de bras, de jambes et de pieds (dessins d’attitudes). Une Notre-Dame terminée. Une autre presque de profil. La tête de Notre-Dame montant au ciel. Une tête de vieillard avec un long menton. Une tête de bohémienne. Tête couverte d’un chapeau. Une composition de la Passion, fatta in forma. Une tête de jeune fille avec des tresses nouées. Une tête brune coiffée (à conciatura). »


Qui ne connaît la fin lamentable du More, son châtiment trop mérité et cependant trop rigoureux ? Chassé une première fois de ses états, en 1499, par Louis XII, il fut rappelé dans le Milanais au bout de quelques mois par ses sujets mécontens du gouvernement des étrangers. Mais une nouvelle invasion française mit en péril, dès l’année suivante, en 1500, ce pouvoir éphémère. Trahi par les Suisses, près de Novare, le duc fut livré par eux à un vainqueur impitoyable. Avec cette cruauté qui est le propre des caractères faibles, — et quel prince fut jamais plus faible que ce monarque si improprement appelé le père du peuple? — Louis XII fit enfermer