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divers faisceaux des muscles pectoraux, deltoïde et sterno-cléido-mastoïdien. Rappelons, ajoute M. Duval, que, dans son Traité de la peinture, Léonard de Vinci a consacré de nombreux chapitres à la description des muscles du corps, des jointures des membres des « cordes et petits tendons qui se ramassent, lorsque tel muscle vient à s’enfler pour produire telle action[1]. »

Aux recherches sur la physionomie se rattachent les fameux recueils de caricatures. La même méthode qui avait présidé à la composition de la Sainte Cène inspira ces recherches d’un ordre si différent. Écoutons Lomazzo, qui avait recueilli son anecdote de la bouche des familiers (domestici) de Léonard : « Un jour, l’artiste voulant représenter dans un tableau des paysans qui riaient, fit choix de certains individus dont la physionomie lui paraissait propre à son dessein ; ensuite, s’étant lié avec eux, il leur offrit un banquet avec le concours de ses amis, et là, s’asseyant près d’eux, il leur raconta les histoires les plus folles, les plus risibles, de manière à les faire rire aux éclats, quoiqu’ils ne sussent pas de quoi. Lui. ne perdait pas un des gestes, pas une des impressions, provoqués par ses récits ; puis, après leur départ, il se retira chez lui et les dessina de telle manière que son dessin ne faisait pas moins rire les spectateurs, que ses récits avaient fait rire les auditeurs pendant le banquet. La composition resta malheureusement à l’état d’ébauche. »

Cette idée bizarre rappelle celle d’un peintre de la primitive école milanaise, Michelino da Besozzo, qui en avait fait le sujet d’un tableau, où l’on voyait deux paysans et deux paysannes se tordant de rire. Vers la même époque. Bramante, qui cultivait à ses heures de loisir la peinture, s’essayait dans un thème analogue : il représenta Démocrite riant, et Héraclite pleurant.

Le même Lomazzo raconte que Léonard prenait en outre grand plaisir à aller voir les gestes des condamnés que l’on conduisait au supplice ; il notait avec un soin extrême les mouvemens de leurs yeux, les froncemens de leurs cils, les tressaillemens de la vie.

On a prononcé, bien à tort, devant ces études, le nom de caricatures : ce sont les fragmens, — des fragmens gigantesques, — d’un traité de physionomie. Léonard avait l’intelligence trop haute pour s’arrêter à des rapprochemens frivoles, uniquement destinés à provoquer le rire, — ce genre d’esprit est en général inconnu aux Italiens de la renaissance ; — mais il s’intéressait passionnément aux lois qui président aux déformations de l’espèce humaine, aussi bien qu’à celles qui en régissent le perfectionnement.

  1. Précis d’Anatomie artistique, p. 15.