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de la Cène et à l’aide desquels il espérait pouvoir restituer, reconstituer, la composition originale dans sa beauté première.


VI.

Avec la statue équestre de François Sforza, avec les portraits, avec la Sainte Cène, nous n’avons épuisé qu’une minime partie de l’activité véritablement miraculeuse déployée par Léonard pendant ces seize ou dix-sept années du labeur le plus opiniâtre et de la plus extraordinaire fécondité. Il nous reste à passer en revue ses travaux comme architecte, comme ingénieur, comme mécanicien, comme naturaliste, comme philosophe, et enfin son enseignement devant l’Académie à laquelle il attacha son nom.

La statue équestre de François Sforza, tout inachevée qu’elle fût, n’avait pas tardé à placer Léonard au premier rang des sculpteurs, de même que la Cène l’avait placé à la tête des peintres. Eu égard à la variété de ses connaissances dans les sciences positives, il était tout naturel que l’artiste brûlât également de s’essayer dans l’architecture. Et, de fait, les problèmes de construction l’occupèrent autant que ceux d’esthétique ; c’est ainsi qu’il s’efforça de se rendre compte des causes qui produisent les fissures dans les murs, les fissures dans les niches, de la nature des arcs, etc. L’acoustique des églises ne l’intéressa pas moins ; il chercha une combinaison architecturale qui permît au prédicateur de faire porter sa voix jusque dans les parties les plus reculées de l’édifice et il imagina le teatro du predicare, c’est-à-dire une salle de conférences en forme d’amphithéâtre.

L’occasion de se produire dans ce domaine nouveau ne tarda pas à s’offrir au sculpteur-peintre-architecte. Depuis des années, l’achèvement de la cathédrale de Milan préoccupait tous ceux qui de près ou de loin s’occupaient d’architecture gothique. Les maîtres d’œuvre de Strasbourg, Bramante, Francesco di Giorgio Martini et bien d’autres avaient dû donner des conseils, élaborer des projets. Léonard voulut prendre part, lui aussi, à ce grand concours, qui surexcitait l’ardeur des derniers champions du moyen âge ; il concentra son attention sur la coupole qui devait couronner le transept, le tiburium. Mais tout tend à prouver que son projet fut écarté et que le maître se borna désormais à des recherches toutes platoniques.

Quoique l’on ne puisse attribuer avec certitude à Léonard aucun édifice existant, il est facile, au moyen de ses croquis, de deviner ce qu’ont pu être ou ce qu’auraient été ses projets, traduits en pierre, lis devaient révéler en premier lieu le sentiment de l’harmonie