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Ils errent, silencieux, parmi les fleurs éternelles, à l’ombre des bambous géans, nourris des quelques grains de riz de l’aumône, ou méditent, dans l’ombre fraîche du marbre des couloirs, aux pieds de l’image sereine du grand Bouddha, très différens des hommes qui, en ce moment, l’œil soucieux, le iront plissé, se bousculent dans les brouillards de Broad-Street ou sur le pavé glissant de Paris.


Qu’y a-t-il sous cet immuable sourire? L’abbé bouddhiste, supérieur du monastère de Kandy, homme très sage et très savant, qui s’intéresse à notre Europe et juge que par leur positivisme, leur psychologie et leur morale, nos penseurs sont tout près des doctrines du Bouddha, l’abbé Sri Smangala, veut bien causer avec moi pendant une demi-heure. Il m’indique quelques livres spéciaux et me donne une idée de la vie de ces religieux. Mais, en somme, on n’aperçoit que le dehors ; on n’arrive pas à pénétrer dans les âmes.

Deux classes de moines : les novices (samanera) ou mendians proprement dits: les aînés (sramana) ou hommes qui savent contrôler leur volonté. Pour arriver à la conquête de soi-même, qui est l’objet final, le religieux suit les préceptes indiqués dans le Pittri mokkha, le plus vieux des livres sacrés du bouddhisme, et que la plus sévère critique fait remonter à l’an 350 avant notre ère.

Le moine peut posséder huit objets : trois robes, une ceinture, une sébile pour recevoir les aumônes, un rasoir, une aiguille, un filtre pour écarter de sa boisson les particules de matière organisée, qui sont sacrées parce qu’elles sont vivantes. Dans le couvent, toutes les règles qui dictent le détail de cette vie de pauvreté sont scrupuleusement observées : le novice se lève avant l’aurore, lave son linge, balaie les couloirs du temple et la terre autour de l’arbre Bo, puise l’eau de la journée et la filtre. Alors il se retire dans un lieu solitaire et médite : ayant placé des fleurs devant l’arbre sacré, il pense aux grandes vertus du Bouddha et à ses propres défaillances ; puis il prend sa sébile et suit son supérieur, qui va mendier. Ils ne demandent rien, mais se tiennent en silence devant les portes. Au retour, le novice lave les pieds de son maître, lave la sébile, fait bouillir le riz, pense à Bouddha, à sa bonté, à sa charité. Une heure après, il allume une lampe et se met à l’étude, copiant des manuscrits, ou bien, assis aux pieds de son supérieur, il reçoit son enseignement et confesse les fautes qu’il a commises pendant la journée.

Les aînés, affranchis du travail manuel, donnent plus de temps à la méditation, non pas à la prière, car le bouddhiste n’invoque point le secours d’une divinité. Pour se soustraire à la douleur.