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devenus électifs, sont nommés par le suffrage restreint ; après la révolution de 1848[1], ils sont nommés par le suffrage universel. Après la révolution de 1870[2], chaque conseil municipal élit son maire, et le conseil général, dont les attributions sont élargies, laisse à sa place, en ses absences, une commission intérimaire, permanente, pour se concerter et gouverner avec le préfet. Voilà bien, dans la société locale, un moteur surajouté, interne et qui opère d’en bas, tandis que le premier est externe et opère d’en haut ; désormais, les deux doivent travailler ensemble et d’accord. — Mais, en fait, le second reste subordonné ; d’ailleurs, il ne convient pas à la machine et la machine ne lui convient pas ; elle n’a pas été fabriquée pour lui, ni lui pour elle ; il n’y est qu’une superfétation, un intrus incommode et encombrant, presque toujours inutile et parfois nuisible. La poussée qu’il exerce est faible et de petit effet ; elle est enrayée par beaucoup de freins ; elle s’amortit dans l’engrenage compliqué des rouages multiples ; elle n’aboutit pas à l’acte ; elle ne peut guère qu’arrêter ou modérer d’autres poussées, celles du moteur externe, parfois à propos, parfois à contre-temps. Le plus souvent, même aujourd’hui, son efficacité est nulle. Dans les trois quarts des allaires, les trois quarts des conseils municipaux ne siègent que pour donner des signatures. Leur délibération prétendue n’est qu’une formalité d’apparat ; l’impulsion et la direction continuent à venir du dehors et d’en haut ; sous la troisième République, comme sous la Restauration et sous le premier Empire, c’est toujours l’État central qui gouverne la société locale ; parmi des tiraillemens et des frottemens, à travers des conflits passagers, il est et demeure l’initiateur, le préparateur, le conducteur, le contrôleur, le comptable et l’exécuteur de toute entreprise, le pouvoir prépondérant au département comme à la commune, et avec les conséquences déplorables que l’on connaît. — Autre conséquence encore plus grave : aujourd’hui, son ingérence est un bienfait ; car la prépondérance, s’il y renonçait, passerait à l’autre pouvoir ; et celui-ci, depuis qu’il appartient à la majorité numérique, n’est plus qu’une force aveugle et brute ; livrée à elle-même et sans contre-poids, son ascendant serait désastreux : avec les inepties de 1789, on verrait reparaître les violences, l’anarchie, les usurpations et la détresse de 1790, 1791 et 1792[3]. — A tout le moins, lu centralisation autoritaire offre cela de bon qu’elle nous préserve

  1. Loi du 3 juillet 1848.
  2. Lois du 12 août 1876, du 28 mars 1882 et du 5 avril 1884 ; loi du 10 août 1871.
  3. La Révolution, I, livre III.