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perce jusque dans l’affectation du langage, et quoiqu’on fût à Pesth, quoiqu’on eût l’air de ne parler que de politique extérieure, il y avait autre chose. L’empereur lui-même, à la réception des délégués austro-hongrois, a laissé voir ses préoccupations en parlant de Prague, du compromis, en s’adressant à quelques-uns des délégués, notamment à M. Rieger. C’est que là, en effet, est un point vif pour l’Autriche. Évidemment, le compromis négocié par le comte Taaffe pour la Bohême, accepté par les vieux Tchèques et leur chef, M. Rieger, le compromis n’a pas réussi. Lorsque la diète de Prague s’est réunie récemment, elle a délibéré au milieu de l’agitation. Les jeunes Tchèques, M. Gregr, M. Hérold, ont attaqué passionnément le compromis ; M. Rieger l’a défendu avec une conviction résolue, mais attristée, et malgré son passé, malgré les services qu’il a rendus à la cause de la Bohême, il n’a pu échapper à des manifestations hostiles. Au demeurant, on n’a pu arriver à faire voter que l’article le moins contesté du compromis sur le régime scolaire. Et l’opposition s’accentue toujours en Bohême ! C’est une complication malheureuse pour l’Autriche, qui ne peut avoir la liberté de sa politique extérieure que par la paix intérieure entre ses nationalités si diverses et souvent ennemies.

Nous vivons, il faut l’avouer, dans un temps singulier, et la politique a d’étranges contradictions. S’il est un fait universel, caractéristique, particulièrement propre à notre siècle, surtout à cette fin de siècle, c’est le besoin d’étendre les relations des peuples, de multiplier les communications. Tandis que le génie de l’industrie met toute sa puissance inventive à percer les isthmes et les montagnes, à ouvrir des voies ferrées à travers les déserts, à créer de nouveaux services de navigation, il est cependant des pays, et non pas les moins grands, qui semblent se piquer de s’enfermer dans leur isolement comme dans une citadelle inexpugnable. L’Angleterre n’est point, certes, la dernière dans la voie des grandes entreprises et des grandes explorations. Elle est mêlée par ses intérêts, par ses ambitions au mouvement universel, à condition toutefois de rester retranchée dans son inviolabilité insulaire et de se répéter encore le mot de l’Imogène de son poète : « Notre Bretagne est un fragment détaché du volume du monde ; elle en est et elle n’y est pas. » Elle veut bien communiquer avec le monde, elle ne veut pas que le monde communique trop avec elle. Elle se complaît dans son isolement au milieu des mers ; et rien n’est plus curieux ou plus puéril, si l’on veut, rien ne peint mieux son humeur défiante et jalouse que cette discussion qui s’est ouverte ces jours passés dans le parlement sur le tunnel de la Manche. Au premier abord tout semblerait favoriser une œuvre qui ne pourrait que multiplier ou faciliter les relations des îles britanniques avec le continent, à laquelle s’intéressent des hommes hardis, Anglais ou Français, entre autres, un des plus grands constructeurs du Royaume-Uni, sir Edward Watkins. Cette