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cas, que tant de changemens ne peuvent manquer d’avoir un jour ou l’autre leurs conséquences dans la diplomatie, dans les alliances comme dans les affaires intérieures des peuples. On s’en défend sans doute ; on veut que rien ne soit changé, que les alliances subsistent plus que jamais, — et, comme pour le mieux prouver, on s’obstine aux arméniens ; on se répète ce que le comte Kalnoky disait, ces jours passés, à Buda-Pesth : « Les buts pacifiques de la triple alliance ne seront atteints que lorsque la puissance militaire des états alliés, qui doivent pouvoir compter les uns sur les autres, sera parvenue à son entier développement. » Fort bien, la triple alliance reste intacte ; mais en même temps, on n’en peut douter, l’Allemagne s’efforce de désarmer les susceptibilités russes, de reconquérir l’amitié du tsar. L’Autriche elle-même, qui parle officiellement par la voix de M. de Kalnoky, invoque la triple alliance ; mais à Vienne, les esprits défians ou réfléchis commencent à se dire que l’Autriche serait plus intéressée à se rapprocher de la puissance russe. L’Italie, à son tour, proteste que si la triple alliance n’existait pas, il faudrait l’inventer ; mais au même instant elle est, par le voyage du prince de Naples, en coquetterie avec la Russie, ou elle se ménage de meilleurs rapports avec la France. Cela ne veut pas dire que de grands états, alliés jusqu’ici, veuillent s’affranchir de leurs engagemens ; cela signifie tout simplement que les événemens ont leur influence, que chacun songe à prendre ses précautions, que cette alliance, invoquée encore pour l’ostentation, commence à être moins une force ou un avantage qu’un poids dans les affaires des peuples.

On verra ce qui en sera. En attendant, les affaires de diplomatie, toujours discrètement voilées, ont dans les parlemens moins de place que les affaires intérieures, et l’Allemagne elle-même, si elle veut réaliser le programme de réformes sociales par lequel l’empereur Guillaume II a signalé son entrée en scène, l’Allemagne n’est point sans avoir du travail. Malheureusement ces réformes sociales ne sont point faciles et elles semblent provisoirement ajournées. On n’est occupé jusqu’ici dans le parlement de Berlin que de questions militaires ou de questions religieuses, de la liquidation du kulturkampf, — ou de questions coloniales. Que ce soit pour faire encore honneur à la triple alliance ou tout simplement pour suivre ses goûts, ses instincts de soldat, l’empereur Guillaume a tenu avant tout aux effectifs nouveaux qu’il réclame pour l’armée, aux crédits militaires qu’il demande. Pour le jeune souverain, c’est la première des questions, et peut-être dans sa pensée, va-t-il encore au-delà des projets dont il demande la sanction au parlement. A la vérité, ces propositions rencontrent une certaine résistance. Le chef du parti progressiste, M. Richter, le chef du parti catholique, M. Windthorst, des libéraux eux-mêmes, dans la commission chargée d’étudier ces projets, se sont montrés quelque