Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 99.djvu/944

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

devinant un danger, elle se rétracte : « Je suis veuve, dit-elle, avec des pleurs dans la voix. J’avais un mari naguère, et ce jeune homme lui ressemble ; mais il est mort et je me suis trompée. » — C’est en miniature la situation, conjugale et non plus maternelle, du quatrième acte du Prophète. — Et maintenant je ne vous conterai pas l’inénarrable et désopilant imbroglio qui s’ensuit, et les deux rois, le roi de France et le roi de la Basoche, et les aventures des deux reines. Il faut voir la pièce pour s’y reconnaître et s’en divertir. Elle s’achève dans la bouffonnerie et la caricature par un troisième acte qui passe peut-être un peu la mesure de la parodie et le ton de la maison, même en ses plus libres jours. N’est-ce pas manquer légèrement, je ne dis pas à la vérité historique, car elle n’a que faire ici, mais à certaines délicatesses qui devraient avoir affaire partout, que de donner à une ganache le personnage et le nom de Louis XII ? Les noms de Laurent XVII ou de Kakatoès XXIV, plutôt que ceux des rois de France, devraient être réservés aux gâteux d’opérette, qui n’en seraient pas moins drôles pour cela.

La Basoche, (et maintenant nous parlons de la partition) débute à merveille. Il est dommage qu’à partir du second acte, l’œuvre dévie un peu et penche, je ne dis pas vers la trivialité, nul reproche ne serait plus injuste, mais vers la banalité. Je sais bien que, par la faute du livret lui-même, le dommage pouvait être plus grand encore, si la musique, au lieu de retenir la pièce et de la relever un peu, l’eût entraînée et précipitée dans la charge. Elle ne l’a pas fait, et c’est bien quelque chose. Les deux derniers actes eux-mêmes, le second surtout, renferment des pages où le comique et l’émotion demeurent de bon aloi ; le musicien y fait preuve encore, à l’orchestre particulièrement, d’un esprit fin et d’un talent délicat. Mais le ton général, le sentiment et le style ont pourtant baissé. Nous sommes descendus de quelques degrés. Et sachez bien que nous étions tout d’abord à une certaine hauteur, de plain-pied avec le Roi l’a dit, de M. Delibes, peut-être même avec les premières scènes de Carmen. La Basoche ne commençait pas avec moins de distinction, de mouvement et de verve, avec un plus clair rayon de gaîté, avec une ombre plus douce de sentiment et de mélancolie. Tout est charmant durant cette première demi-heure de musique, et même plus longtemps, je crois ; tout : la chanson légèrement archaïque de Marot sur les paroles mêmes du poète : Je suis aymé de la plus belle ; la villanelle : Quand tu connaîtras Colette. Adorables, le chœur des femmes à la fontaine, l’entrée, les récits, le premier air de Colette, j’allais dire de Micaela, tellement ces jolies pages m’ont paru dignes de Bizet. Dans la mélodie, l’harmonie, le rythme, l’orchestration, partout l’originalité, l’adresse, beaucoup d’allure et de vie. A la bonne heure ! voilà des flûtes modestes et des harpes, une harpe plutôt expressive par sa discrétion même. Et que