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seconde main, une imitation de Shakspeare où le souvenir de Racine se mêle parfois au pressentiment de M. d’Ennery. Zaïre, tragédie encore et déjà mélodrame, Zaïre, classique et romantique à la fois, aurait quelque droit à s’appeler la Croix de ma mère, ou l’Enfant du mystère, comme Cœlina. Il y a pourtant de sérieuses qualités dans Zaïre : une intrigue dramatique, d’éloquentes tirades, beaucoup de passion chez Orosmane, et plus de grâce encore chez Zaïre. Les librettistes, en serrant l’action et surtout les caractères, n’ont laissé au musicien qu’un sommaire de l’œuvre originale. Ils ont supprimé tout développement passionnel et psychologique. Quelques vers de Voltaire seulement ont été conservés. Presque tous ont disparu : notamment le fameux : Soutiens-moi, Châtillon ! et le non moins fameux : Vivre sous Orosmane est ma seule espérance.

Nous ne connaissions rien encore de M. Véronge de la Nux. Zaïre, paraît-il, est sa première œuvre de théâtre. Modestement, il ne l’a pas faite trop longue. Il l’a faite avec non moins de conscience et de sincérité que de modestie ; sans préoccupation de doctrine ni de système, il a tâché de dire franchement ce qu’il sentait. Mais il nous a paru qu’il avait deux manières de sentir, et quelque peu contradictoires. Sa partition est un alliage de recherche, évidemment intentionnelle, et de banalité, sans doute involontaire. Les formules rythmiques, mélodiques ou instrumentales les plus familières à notre mémoire traînent ici à côté de tournures gauches et gênées, dans l’embarras d’une déclamation pénible. Quand la route ne fatigue pas par ses aspérités, c’est par sa platitude qu’elle désespère. Pour les voix, par exemple, M. de la Nux écrit d’une singulière façon : d’abord et presque toujours trop haut, puis avec des intonations scabreuses, des intervalles maladroits, qui sèment la phrase vocale d’obstacles et de casse-cou. Dès lors, plus de ligne mélodique, un dessin constamment brisé ; au lieu de la certitude, ou du moins de la sécurité dans la modulation et la tonalité, partout l’équivoque et l’ambiguïté. Orosmane, par exemple, quand il entre au premier acte, chante une sorte d’air, ou de récit mesuré, quelque chose enfin d’insaisissable et d’indéfinissable, série de phrases qui semblent n’aller nulle part et n’aboutir à rien. Tous les récitatifs sont dans un style qui paralyse constamment la parole et torture la déclamation. En vérité, nous étions sur le point de regretter les romances de Dante. Et, par un contraste bizarre, que nous signalions plus haut, M. Véronge de la Nux, à ce perpétuel tourment de lui-même, unit une excessive indulgence, pour lui-même aussi. La contradiction éclate parfois dans la même page entre un chant, une déclamation trop excentrique et des accompagnemens trop ordinaires. Non pas que l’orchestre accompagne jamais en guitare ; mais que de plates ritournelles, que d’effets trop connus, dont on ne saurait plus rien attendre : par exemple, l’effusion