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l’enthousiasme des autres par les délicatesses et les harmonies de leurs tonalités. Il y a, en effet, chez M. Blanche, par instans, de quoi rire, et par instans de quoi admirer. L’artiste qui a peint le fin Portrait de Mlle Jeannine Dumas, les images brutales, mais bien caractérisées, du Docteur Blanche et de M. Henry Guérard, n’est pas un artiste banal ; c’est un homme cultivé et troublé, volontiers excentrique, qui pense à beaucoup de choses, tantôt aux Anglais, tantôt à Hals ; seulement ; il prend Hals par le mauvais bout, le Hals de la fin, le Hals infirme, tremblotant, presque aveugle. Cependant, même à cette époque, dans sa décrépitude, quand le vieux Hals brossait une main, on sentait encore sous la touche vive, large, longuement coulée dans le sens de la forme et du mouvement, on sentait toujours les muscles et la vie. Qu’on compare la main de l’Henry Guérard, par M. Blanche, cette main qui, à distance, à force de brouillement coloré, fait quelque effet, avec une main quelconque de Hals, et l’on connaîtra la différence entre un praticien qui sait et un praticien qui tâtonne.

Il y a quelque parenté entre M. Blanche et M. Boldini. Celui-ci redoute encore moins les excentricités fin de siècle. Il continue à donner à ses jolies femmes, sous prétexte d’élégance, pour bras et pour jambes, des baguettes fuselées qui n’ont qu’un lointain rapport avec la nature. C’est, d’ailleurs, un peintre infiniment plus habile et un observateur plus pénétrant, d’une tournure d’esprit ironique, sceptique, caricaturale, singulièrement avisé, audacieux et amusant. Comme peintre de genre, il a fait une étude de cocher parisien endormi dans sa voiture, qui est une petite merveille de peinture et de justesse dans l’exécution. Dans son Portrait de M. John-Lewis B.., marchant par les rues avec sa femme et sa fille, il n’a pas sans doute la prétention de flatter ni d’enjoliver les amis qu’il représente ; c’est néanmoins une peinture d’une habileté, d’une sûreté, d’un entrain vraiment rares, où la personnalité des personnages, dans leurs traits, dans leur allure, dans leur physionomie, est accentuée avec une verve très personnelle. Avec plus de sérieux, d’autres étrangers déploient aussi, dans l’art des portraits, des qualités bien remarquables, surtout au point de vue physionomique ; on ne saurait oublier les visages si francs, si honnêtes, si intelligens qui se dégagent de la pâte un peu lourde et plâtreuse des toiles de Mlle Breslau, notamment ceux de deux jeunes garçons en costumes d’été, Messieurs Aymard et Thierry de M…, non plus que la distinction et l’animation du Portrait de M. le comte de M. H… par M. Edelfelt. Quant aux pochades de M. Zorn, toujours piquantes par l’étrangeté de la complication lumineuse, elles sont brossées avec une désinvolture et