Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 99.djvu/929

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

posséder, il peut occuper un rang très distingué parmi nos peintres de genre, à la campagne comme à la ville ; c’est certainement un des mieux doués. M. Adolphe Binet, qui a débuté aussi par des scènes populaires, semble avoir de plus hautes ambitions. Son panneau décoratif pour la ville de Paris, l’Intérieur d’un fort pendant le siège, bien qu’un peu terne et gris, semble prouver qu’il a raison de les avoir. Les figures y sont justes, bien posées, largement peintes ; mais, pour la joie de nos yeux, nous préférons ses esquisses faites dans la banlieue, la Blanchisseuse et les Blanchisseuses. Les sujets n’ont rien de relevé, mais l’analyse est fine, et la peinture, traitée en pastel, d’une tonalité charmante. M. Dinet a été de bonne heure un coloriste plus vif et plus hardi ; c’est un de ceux qui, les premiers, se sont plu à exprimer les effets les plus extraordinaires et les plus inattendus du soleil sur les figures en plein air. Pour se gorger de lumières, il travaille maintenant en Afrique. Sa grande scène des Charmeurs de vipères, où tous les personnages, éblouis par une lumière intense, clignent des yeux et grimacent sous la chaleur, fait aussi cligner les yeux de ceux qui la regardent ; mais, si l’on peut supporter cet éclat aveuglant, on verra que les figures, sous ce rayonnement excessif, sont vraisemblables, particulières, vivantes. Même effet, même esprit dans la petite scène des gamins arabes qui dégringolent sur la pente d’un rocher pierreux et qui se bousculent dans la poussière en se livrant le Combat autour d’un sou. L’Algérie est une bonne école pour les coloristes. M. Brétegnier y assouplit aussi et y échauffe son talent. Sans étinceler avec cet éclat presque insupportable, ses Mendians nègres dans une rue de Tanger, sa Porte de la Kasbah à Tanger, sont de bonnes études, sincères et lumineuses.

A côté de ces jeunes gens pour lesquels le Salon du Champ de Mars a été une occasion de confirmer ou d’établir leur réputation, nous y retrouvons un certain nombre de ceux qui les ont précédés dans l’étude de la vie moderne. Parmi les Parisiens, c’est, d’abord, M. Béraud avec son Monte-Carlo, où il réunit, avec son esprit accoutumé, autour du tapis vert, des types variés, d’une exactitude criante. Il a choisi l’instant fatal où le croupier crie : « Rien ne va plus. » L’inquiétude, la curiosité, l’angoisse se peignent, franches ou contenues, sur tous les visages des joueurs et des joueuses. Les douairières assidues, les vieux routiers et les dupes naïves, les cocotes à l’affût et les décavés piteux, tout ce monde international et interlope est mis en scène, d’une touche pleine et vive, avec le sang-froid et l’ironie qu’on connaît à l’auteur ; c’est un des tableaux qui sont le plus entourés. M. Goeneutte, avec sa Mi-Carême, amuse fort aussi le public ; toutefois les qualités pittoresques