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bien remplies, qu’on pourrait, au rebours de tant d’autres, agrandir sans inconvénient, montrent des types populaires étudiés et définis avec une netteté, une sûreté, une insistance d’autant plus précieuses que cette netteté, cette sûreté, cette insistance, sont les qualités qui manquent le plus, tant au Champ de Mars qu’aux Champs-Elysées, à beaucoup d’artistes qui prétendent nous représenter la vie moderne. Qu’il y ait quelque âpreté dans cette insistance, nous ne le nions pas ! C’est cette insistance qu’on a aussi longtemps reprochée à M. Meissonier, mais M. Meissonier survivra à bon nombre de ses contemporains qu’on a d’abord beaucoup plus fêtés. Parler net et clair, en art comme en littérature, sera toujours la meilleure façon d’être bien entendu.

Chez MM. Muenier et La Touche, le dessin est moins ferme, l’observation moins serrée, mais l’enveloppe lumineuse est plus naturellement douce et charmante. M. Muenier, lui aussi, tient beaucoup de Bastien Lepage ; sa touche est mince, presque diaphane, et ses corps sont plus des apparences que des réalités, mais c’est avec une délicatesse extrême et une rare distinction qu’il comprend et analyse la poésie des êtres simples, dans leurs occupations familières, lorsqu’ils nous apparaissent revêtus d’une beauté passagère et exquise, et comme transfigurés, par la beauté environnante et éternelle des choses. Il a le sentiment de la paix dans la nature et de la paix dans les âmes. On se souvient de son début si aimable : un bon prêtre, assis sur une terrasse, au milieu de ses plates-bandes, dans la douceur du crépuscule, lisant son bréviaire. On retrouve cette même sérénité, ce même apaisement des physionomies, cette même jouissance innocente de la verdure, des fleurs, de l’été, dans ce déjeuner de famille, à la campagne, qu’il intitule les Beaux jours. Rien de plus bourgeois et pourtant rien de plus finement pénétrant. Un sentiment fin du même genre, sentiment de bien-être, de tranquillité, de bonheur donne leur prix à deux autres scènes de villégiature, les Pivoines et les Phlox, par M. Gaston La Touche. Comme les titres l’indiquent, dans ces deux toiles, ce sont des fleurs, fraîchement épanouies, abondantes, triomphantes, qui jouent le rôle principal, mais, derrière ces touffes roses ou blanches, apparaissent encore, sous la verdure, des groupes aimables de jeunes ménages et d’enfans, en toilettes fraîches, respirant la douce joie de vivre dans une tiède atmosphère d’été. Un intérieur de paysans, où l’on s’apprête à recevoir la famille, un Jour de fête, rappelle, par la précision des détails, la première manière de M. Dagnan. L’arrangement lumineux y est excellent, la recherche des attitudes et des types sincère et heureuse. Si M. La Touche ne se laisse pas aller à l’extrême facilité d’assimilation et d’exécution qu’il semble