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qui tombent on ne sait d’où et qui ne servent qu’à agacer les yeux ; mais il y en a si peu ! Un artiste florentin du XVe siècle désirait déjà qu’une loi interdît de vendre aux peintres du noir et du blanc purs, parce que rien, disait-il, n’est plus désagréable que l’emploi abusif de ces couleurs extrêmes. Si les marchands refusaient de vendre du jaune à M. Besnard, peut-être lui rendraient-ils service. M. Besnard, à ce jeu prolongé, court risque de compromettre ses qualités imaginatives, qui sont grandes, et son savoir, qui est réel.

Le parti-pris est encore visible dans la manière toute conventionnelle dont M. Carrière enveloppe ses fragmens de figures uniformément blanchâtres et fondantes dans une pénombre cotonneuse. Le procédé n’a rien de naïf, mais on pourrait répondre que celui de M. Henner n’est pas naïf non plus, et l’on aurait peut-être raison. Cependant, M. Henner est un artiste ; M. Carrière aussi est un artiste ; c’est avec une délicatesse extrême, une sorte de tendresse caressante qu’il dégage à demi de cette ombre obstinée des bouts de visage et des lambeaux de bras d’une carnation moelleuse et d’une expression douce. Le Sommeil, la Tendresse, le Cahier, sont des notes charmantes dans leur brièveté ; cela ne va pas au-delà ; le talent est réel, mais c’est un talent volontairement borné, qui paraît devoir longtemps tourner dans le même cercle.

MM. Priant, Muenier, Dinet, La Touche, tous partis aussi à la poursuite de la lumière, la cherchent avec moins d’effort en des endroits où elle se répand plus naturellement et plus librement. Tous les quatre aiment le plein air et le soleil ; ce sont des gens sains, qui veulent rester sains. L’exposition de ces jeunes artistes au Champ de Mars confirme les bons présages qu’on avait tirés lors de leurs débuts. Ce n’est pas qu’ils soient tous encore aussi maîtres de leurs moyens d’expression, aussi bien outillés, aussi bien équilibrés que nous les voudrions voir ; mais tous quatre, autant que nous en pouvons juger, sont des sincères et des laborieux ; ils s’interrogent avec modestie, s’examinent avec conscience, cherchent à se compléter avec patience et volonté. S’ils se montrent, comme leurs camarades, et avec raison, extrêmement sensibles aux charmes violens ou délicats de la lumière épanchée ou contenue, ils ne sont pas sans s’être avisés que ces charmes sont d’autant plus durables qu’on les emploie mieux à mettre en valeur des figures intéressantes. Ils reprennent l’œuvre de Bastien Lepage, où Bastien l’avait laissée, avec l’intention évidente de la pousser plus loin.

Le plus fin dessinateur des quatre est M. Friant. Il possède peut-être moins que MM. Muenier et La Touche le sentiment de l’enveloppe atmosphérique ; il a souvent quelque peine à raccorder ses