choses soient caractérisés, chacun en ce qui le concerne, aussi nettement et aussi profondément que possible, de manière à nous apparaître comme des êtres vraisemblables, sinon réels. Quel parti eût pu tirer, d’une ordonnance semblable, un praticien plus sensible aux splendeurs verdoyantes du paysage normand, au caractère décidé, actif, énergique de la race puissante et joyeuse qui l’habite, à la variété des merveilles architecturales qui s’y succèdent depuis le XIIe siècle jusqu’au XVIe ! C’est le privilège des grands peintres de transporter, sans les affaiblir, en accentuant même leurs traits significatifs, des créatures vivantes et réelles dans le monde idéal de la fiction. Souvenons-nous du groupe des Docteurs dans la Dispute du Saint-Sacrement, de celui des seigneurs agenouillés dans le Miracle de Bolsène, des dames et des gentilshommes dans le Mariage et le Couronnement de Marie de Médicis ; sans aller même ni si loin ni si haut, souvenons-nous seulement de l’Apothéose d’Homère, et de l’Hémicycle de l’École des Beaux-Arts, et nous reconnaîtrons que ce qui manque à M. Puvis de Chavannes pour arriver à la réalisation complète de son rêve, c’est le sens et le besoin de la précision, aussi bien dans l’expression du caractère que dans la forme des corps. Sous ce rapport, M. Puvis de Chavannes ressemble aux deux nobles écrivains lyonnais, ses compatriotes, chez lesquels l’expression flottante compromettait souvent la beauté de la conception, Ballande et Laprade. Cette indécision dans la pensée et dans le rendu est plus facilement acceptable dans des sujets généraux ou d’un caractère historique très vague et très lointain comme ceux que l’artiste a traités autrefois à Amiens et à Paris ; on s’y fait moins aisément, lorsqu’il s’agit d’époques plus rapprochées et de choses plus connues. L’Inter artes et naturam reste donc un rêve harmonieux et noble, tout rempli d’indications délicates et poétiques, tel qu’à l’heure actuelle aucun artiste contemporain n’en sait faire d’aussi séduisant ; mais donner en exemple, au point de vue de l’exécution, ce qui n’est qu’une esquisse suggestive, à la génération qui grandit, ce serait, à notre avis, une erreur profonde et une irréparable faute.
Parmi ceux (et ils sont nombreux ! ) qui doivent à M. Puvis de Chavannes ce sentiment si précieux de l’unité expressive dans la coordination des figures et de l’unité harmonique dans l’orchestration des couleurs, il en est d’avisés qui sentent bien déjà ce qu’il y faut ajouter. Chez M. Lerolle, par exemple, qui a montré tout de suite une habileté extrême à faire accorder ses figures avec leurs fonds de paysages ou d’architecture dans une atmosphère fine et lumineuse, l’effort, depuis quelques années, vers une détermination plus sûre, est visible et continu. Ses deux panneaux pour l’église