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brebis ! » A ne rien cacher, il s’en faut que toutes les questions du roi soient aussi innocentes et aussi fades. Il en pose aussi qui provoquent de justes protestations : « Car la demande est laide ! » Le berger Gautier se distingue entre tous par ses inconvenances. Il propose les jeux les plus imprévus, et tout à l’heure, prié de chanter, il entonnera la plus malpropre des chansons du moyen âge, un vers d’Audigier, et Marion sera obligée de faire taire l’ord ménestrel. Magnin a ingénieusement conjecturé que les détails grossiers qui déparent cette idylle n’y seraient que les additions d’un remanieur. On sait, en effet, que notre jeu fut représenté au moins deux fois, à Naples, d’abord, puis à Arras après la mort d’Adam. M. Magnin croit que le texte qui nous est parvenu est celui de la reprise, enrichi par un poète anonyme, pour la plus grande joie des bourgeois d’Arras, de couplets que n’eussent point admis, à Naples, les nobles spectateurs de la première. Mais il nous est bien malaisé de faire ce départ, car nous savons que les sociétés les plus aristocratiques du temps ne se choquaient pas pour si peu. Entre mille témoignages qu’on pourrait alléguer, en voici un qui est bien en situation, puisqu’il s’agit de ce jeu du roi et de la reine, auquel jouent nos petits bergers. Dans un fabliau du XIVe siècle, le Sentier battu, de grands seigneurs et de belles dames jouent à ce jeu ; il nous est représenté comme un des plaisirs les plus délicats des cercles aristocratiques ; notons que l’auteur du fabliau, Jean de Condé, se connaissait en matière d’élégance, puisqu’il fut le ménestrel attitré des comtes de Flandre, qu’il passa toute sa vie dans leurs châteaux et qu’il ne rima jamais que pour le plaisir de leur cour. Or, il se trouve que les questions et les réponses des nobles joueurs ne sont que des équivoques rebutantes, et que ce fabliau aristocratique est l’un des plus véritablement grossiers que nous possédions ; tant et si bien qu’il nous fait comprendre cet acte du concile de Worcester, en 1240 : Non sustineant fieri lados de Rege et Regina. Oui, tout porte à croire que les détails grossiers de notre comédie sont, comme le reste, l’œuvre d’Adam ; sa préoccupation est visible : c’est de peindre avec quelque réalisme la vie de ses petits bergers, et de les maintenir dans cette « condition de demi-vérité » que recherchent les poètes bucoliques. Son personnage de Gautier n’a point d’autre raison d’être ; quand Marion offre à Robin du fromage qu’elle a gardé dans son sein, quand un berger vante les délices de la viande de porc qu’il mange à planté, il est évident que le poète a voulu faire vrai. Boileau lui reprocherait avec raison de faire parler ses bergers « comme on parle au village. » Et comment voudriez-vous qu’ils parlassent ? demandait plaisamment Victor Hugo. Comment ? Comme