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ne vas-tu la secourir ? — Taisez-vous ! Il nous courrait sus, fussions-nous quatre cents ! C’est un chevalier hors du sens, qui a une si grande épée ! » Par bonheur, Marion sait fort bien se défendre toute seule, et le ravisseur doit laisser échapper sa capture, plus difficile à apprivoiser qu’un faucon. Le voilà parti ; il ne reviendra plus. — L’alerte est passée : donc le courage revient au hardi Robin : — « Marion, je suis joyeux et guéri, puisque je te vois. — Viens donc ça, embrasse-moi ! — Volontiers, sœur, puisqu’il te plaît. » Et aussitôt, la coquette, qui vient de demander elle-même ce baiser, s’écrie : « Regardez-moi ce petit sot qui m’embrasse devant tout le monde ! — Et qui s’en retiendrait ? » Il la baise derechef, et tout ragaillardi par ce baiser : « Dieu ! s’écrie-t-il,

Dieus ! com je seroie ja preus
Se li chevaliers revenoit ! »

Ce gentil trait de coquetterie, cette bravoure comique de Robin, tous ces enfantillages ne sont-ils pas charmans ? Comme l’écrivain allemand Hertz l’a remarqué pour l’auteur d’Aucussin et Nicolete, Adam paraît traiter ses personnages avec le plus grand sérieux du monde ; mais si l’on s’approche un peu du poète, on voit un sourire qui se dessine sur ses lèvres : et cette ironie sauve son œuvre de la fadeur.

Des nouveaux-venus, un berger, Huart, une bergère, Perrette, ont rejoint nos amis. Ils sont six à présent ; ils sont en nombre pour jouer. Il est curieux de remarquer que leurs divertissemens sont les mêmes qui font encore les délices de notre bourgeoisie, et qu’il ne faudrait pas chercher longtemps dans quelque Trésor des Jeux innocens pour les y retrouver. Tel le jeu de saint Coisne : il s’agit de se présenter devant l’un des joueurs et de lui dire avec un grand sérieux : « Bon saint Coisne, je vous apporte mon offrande. » Si l’on rit, on doit un gage. Comme de juste, chacun de nos bergers éclate de rire. Tel est aussi le jeu du roi et de la reine. Le berger Baudon est fait roi par la grâce d’une formulette d’élimination semblable à celle des enfans d’aujourd’hui : empreu, et deux, et trois… et dix, et le dixième est roi. Couronné du chapel de fétus de Perrette, il appelle à la cour successivement les divers joueurs. À chacun il pose une question, à laquelle on doit répondre avec sincérité, et, qui peut, avec esprit. — « Perrette, viens à la cour ! Quelle a jamais été ta plus grande joie d’amour ? — C’est, répond-elle, un jour que mon ami m’a tenu compagnie aux champs. — Sans plus ? — Sans plus ! — Elle ment ! — Et toi, Marion, viens à la cour ! Comment aimes-tu Robin ? — Mieux que ma plus chère