Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 99.djvu/881

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’occasion d’une sorte de foire, fréquentée par les jongleurs, les charlatans, les porteurs de reliques ; les bourgeois, jeunes et vieux, maîtres et compagnons, s’y réunissent ; on y boit, et les langues vont leur train. — Mais d’anciennes superstitions, obscurcies déjà, vivantes pourtant, donnent sa signification à cette fête presque païenne. C’est le jour où les fées passent sur le pays. La croyance populaire aux fées, filles des Nornes et des Parques, qui président à la naissance des hommes et à certains actes de leur vie, est attestée au moyen âge par des textes assez rares, mais probans. On aimait à les recevoir dans les maisons[1] ; Richard de Wadington, qui écrivait en Angleterre au XIVe siècle, trouve encore utile de dire, dans son Manuel des Péchés, que c’est « encontre la foi prouvée » de croire que trois sœurs viennent aux naissances décider si l’enfant sera mauvais ou bon. Ce jour du 1er mai, les vieilles femmes d’Arras attendaient les fées « sur la prairie. » Elles passeront, volantes, par la ville et les bourgs, et s’abattront quelque part. Il faut dresser leur table et mettre leur couvert. Heureuse, ou malheureuse peut-être, la maison qui les hébergera ! Elles ne partiront pas sans laisser quelque don en souvenir de leur venue. Elles pourront, comme on le voit dans les traditions populaires modernes, récompenser les bonnes fileuses ou châtier les mauvaises. — Or, ce sont ces données réelles qu’Adam mettra en œuvre : c’est d’une part cette kermesse, d’autre part ces contes de bonne femme. D’abord, des bourgeois qui devisent et médisent au hasard de leurs rencontres, comme ils durent effectivement deviser et médire dans la vraie foire, le 1er mai 1262 ; c’est une série de scènes sans lien dramatique, sans véritable action, de même que dans la fête villageoise de Faust se rencontrent les étudians pêle-mêle avec les jeunes filles, les vieux paysans et les soldats, les mendians, le docteur Faust et son famulus ; puis, tout à coup, parmi ces bourgeois, devant la table dressée pour elles, apparaîtra la troupe souriante des fées.

Il est difficile d’analyser cette pièce obscure. Dans les plus anciens mystères du moyen âge, un meneur du jeu interrompait de temps à autre l’action par des vers narratifs, qui suppléaient à l’insuffisance de la mise en scène : « Voici l’aveugle Longin, » disait-il,

  1. On lit dans un passage du roman de Guillaume au court nés cité par Leroux de Lincy, Livre des Légendes :
    Coustume avoient les gens par vérités
    Et en Provence et en autres régnés :
    Table metoient et sieges ordenés
    Et sur la table trois blans pains buletés,
    Trois poz de vin et trois henas delés.