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Gringoire jusqu’aux bonimens de bateleurs, jusqu’aux parades foraines, se développe, sous des formes multiples, la scène comique de ce prosaïque XVe siècle, triste même dans son rire, laid même dans ses chefs-d’œuvre. Mais si nous voulons rechercher le germe premier de ces genres, le fait est là, brutal et singulier : les premières comédies conservées datent de la fin du XIIIe siècle, et l’on en peut compter jusqu’à trois. Recueillons pieusement ces trois pièces : fussent-elles dépourvues par elles-mêmes de toute valeur littéraire, elles mériteraient peut-être encore quelque intérêt, comme nous respectons, sur un fragment de poterie ou de métal grossièrement travaillé, les premiers essais artistiques, vénérables et risibles, des anciens hommes. Cet intérêt purement archéologique est, en effet, le seul qu’éveille l’une de ces pièces, le Jeu du garçon et de l’aveugle, saynète jouée à Tournai, probablement, en 1266 au plus tôt, en 1290 au plus tard. Mais les deux autres pièces, qui sont l’œuvre du même trouvère artésien, Adam de la Halle, ne sont peut-être point aussi médiocres : l’une, le Jeu de la Feuillée, est une ébauche de comédie de mœurs, une revue satirique, et par endroits une féerie ; l’autre, le Jeu de Robin et de Marion, est une idylle dramatique et notre plus ancien opéra-comique. De deux choses l’une : ou bien ces pièces sont les témoins uniques de genres jadis florissans, les seuls exemplaires de milliers de pièces similaires perdues, ou bien elles sont la création personnelle du poète. Dans le premier cas, elles serviraient à reconstituer des genres disparus, comme les misérables fragmens de Bacchylide et de Sapho nous permettent de reconstruire par induction des modes lyriques détruits. Pour improbable qu’elle paraisse, cette hypothèse n’est point impossible : qu’on se rappelle l’histoire du recueil de farces dit du Brithh Museum. Dans un grenier de Berlin, vers 1840, on a retrouvé un vieux volume, relié en parchemin, imprimé en caractères gothiques. C’était un recueil factice de soixante et une farces ou moralités françaises du XVIe siècle. Or, cinquante-sept de ces pièces ne nous sont connues que par cet unique exemplaire. Ainsi, un siècle après l’invention de l’imprimerie, notre répertoire comique était si peu à l’abri de la destruction que ce qui nous en reste serait diminué du quart, s’il n’avait plu à quelque amateur, à un bon Brandebourgeois peut-être, de passage à Paris vers 1548, de collectionner des farces françaises. Et les manuscrits du XIIIe siècle sont autrement rares que les plaquettes gothiques du XVIe ! Mais c’est peut-être la seconde hypothèse qui se justifiera : peut-être ces deux pièces d’Adam de la Halle sont-elles réellement des œuvres uniques, sans modèles, sans similaires, sans imitations ; peut-être cet Adam fut-il le premier à voir dans un spectacle dramatique « une risée et un gabet. » En ce