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qui, du haut du jubé, évoque les témoins du Christ ; Ezéchiel, Isaïe, le prophète Virgile, la Sibylle ; puis ces clercs acteurs se dirigent de l’autel vers le porche, vers la lumière du soleil, vers le siècle ; les chants hiératiques des antiphonaires se taisent ; les vêtemens profanes remplacent les dalmatiques aux plis raides ; voici des tréteaux dressés devant l’église ou dans le cimetière, ce lieu habituel des divertissemens et des danses au moyen âge, puis sur la place publique. Alors la foule, accourue à ces représentations qui se prolongent et se succèdent des semaines entières, voit avec passion se dérouler les drames sacrés. Un théâtre existe donc, depuis des siècles, ardemment aimé ; il a ses poètes, ses acteurs, son public, ses habitudes de mise en scène. Religieux par ses origines et par les sujets qu’il exploite, il admet pourtant de très bonne heure des scènes de la vie quotidienne, plaisantes, familières ; de plus, il se développe au milieu d’une civilisation déjà complexe, née dès longtemps à la vie artistique, qui sait le prix d’une noble légende héroïque et des contes d’amour que chantent les harpeurs bretons. Ne semblerait-il pas que dans cette société, habituée d’une part aux spectacles dramatiques, pourvue d’autre part de nombreux genres littéraires, il dût naître nécessairement, par une imitation qui nous paraît presque fatale, de ce théâtre plus qu’à demi sécularisé, un théâtre purement laïque ? Ces hommes savaient faire agir et parler dans leurs épopées, dans leurs romans, les héros légendaires, Roland, Olivier, Tristan ; dans leurs fabliaux, les personnages de la vie journalière, le curé du village, le petit marchand du coin. Comment comprendre, puisqu’ils les imaginaient si bien, qu’ils n’aient jamais été tentés de les voir ? qu’ils aient trouvé plus naturel de voir des yeux du corps le Christ et la Vierge que Tristan ou leur curé ? que leur vision poétique ait eu moins de puissance concrète que celle de leur foi ?

Et pourtant, ce n’est qu’au XVe siècle que nous voyons tout à coup s’épanouir, en une laide floraison, un théâtre comique : tout à coup défilent devant nous, en troupe sans nombre, les sots, coiffés du chaperon aux longues oreilles, affublés de la robe mi-partie de jaune et de vert, sots amoureux, sots subtils, sots lunatiques, les badins, Triboulet et Coquibus ; nous entendons, dans les moralités, de vagues êtres de raison discourir pesamment, Tout argumenter contre Rien et Caro donner la réplique à Mundus ; dans les farces, les monologues, les sermons joyeux, se succèdent les types populaires de l’époque : le franc archer, le valet à tout faire, le clerc de taverne, maître Hambrelin et maître Patelin ; depuis les solennelles moralités où se plaisaient à la fois les hauts et prétentieux seigneurs de la cour de Bourgogne et le public basochien de Pierre