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tout en leur promettant d’être là pour les protéger, c’est tenir un langage malsain, dangereux, dont l’ardeur d’une commisération désintéressée est la seule excuse. Cela peut sembler étrange et superflu à rappeler, mais cette charité, au sens élevé du mot, que les patrons ont le devoir de pratiquer vis-à-vis de leurs ouvriers, c’est un devoir de la pratiquer également vis-à-vis des patrons. Il y a, en effet, quelques-uns de nos réformateurs, étrangers cependant aux passions et aux convoitises populaires, qui se laisseraient volontiers entraîner à dire comme les orateurs de certains congrès collectivistes : le capital, c’est l’ennemi. Sans cesse, en effet, ils le dénoncent, l’accablent de reproches, parfois d’invectives et lorsqu’on les pousse un peu, ils arrivent jusqu’à dire qu’ils veulent le supprimer, c’est-à-dire, je pense, attribuer aux ouvriers les bénéfices qui, dans l’organisation industrielle d’aujourd’hui, sont prélevés par les patrons. Arrivé au terme de cette étude, je ne m’arrêterai pas à discuter cette étrange théorie ni à démontrer combien le capital est nécessaire à l’industrie, non pas seulement le capital qui vient s’incorporer en elle et augmenter sa puissance productive sous la forme d’ateliers et de machines, mais le capital mobile qu’elle trouve à sa disposition au moment de ses besoins et qui lui prête ses services moyennant un juste loyer. Mais je veux dire combien est injuste cette guerre morale faite au capital. D’une façon générale, en France, le capital remplit ses devoirs vis-à-vis du travail. Ce que démontre l’étude attentive des faits, c’est que là où le capital trouve de ses avances une large rémunération, là aussi le travail est heureux ; là, au contraire où il y a gêne et perte pour le capital, là également, il y a souffrance, crise, parfois désastre pour le travail. Ce sont les sociétés anonymes les plus prospères, ce sont les patrons les plus riches qui font le plus pour les ouvriers. Ce sont les sociétés en détresse ou les patrons misérables qui se montrent les plus durs. Ce résultat de l’expérience, qui devrait bien mettre un terme aux déclamations contre le capital, confirme une fois de plus la grande loi économique et morale de l’harmonie des intérêts. Toute mesure, tout langage qui tendent à détruire cette harmonie sont mesure et langage néfastes.

Il en est particulièrement ainsi de cette campagne entreprise contre une race petite par le nombre, mais grande par les souvenirs, qui s’est montrée d’une habileté singulière à conquérir le capital et qui de cette conquête détient une part assurément disproportionnée avec son importance numérique. Qu’il y ait des prétextes à ce déchaînement, que dans les luttes inévitables qui s’engagent à l’intérieur du temple de Mammon, la vieille race des sémites ait apportée peut-être un peu trop d’âpreté, qu’elle ait eu le tort de s’abandonner à l’esprit de représailles et de se mêler d’une façon