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code dans les questions de filiation. En posant ce principe absolu et brutal : la recherche de la paternité est interdite, ils ont voulu surtout prévenir le retour de ces procès à scandale qui se déroulaient autrefois devant nos anciens parlemens. Ils n’avaient assurément pas prévu les ravages que ferait dans la moralité populaire, cette croyance aujourd’hui répandue que la charge matérielle et morale de l’enfant né hors du mariage doit toujours et dans tous les cas retomber sur la mère. S’ils pouvaient entendre aujourd’hui le langage cynique que tiennent à leurs victimes les séducteurs de bas étage, je suis persuadé qu’ils reculeraient devant leur œuvre et je suis persuadé également que si les jurisconsultes modernes voulaient bien descendre des hauteurs de l’école de droit jusque dans les dessous de la vie misérable, loin de défendre cette œuvre, ils se joindraient au contraire à ceux qui en demandent la réforme. Ce serait à eux de suggérer en même temps les précautions qui rendraient cette réforme sans inconvéniens. Mais une aide plus puissante serait encore nécessaire. Nos deux plus grands auteurs dramatiques se sont attelés autrefois à la question du divorce, et ils ont été assurément pour beaucoup dans le succès d’une loi dont à quelques esprits étroits (je suis du nombre) l’utilité morale continue de paraître contestable. Des deux un seul survit aujourd’hui ; la question de la recherche de la paternité avait autrefois mis en train sa verve et lui a même inspiré un mot célèbre. S’il était tenté de reprendre aujourd’hui la cause des filles mères, ce qu’il dirait à ce sujet aurait beaucoup plus de retentissement que tous les mémoires des jurisconsultes et le succès de cette cause serait un triomphe digne de son talent et de son cœur.


V

Nous voilà bien loin de la moindre action de l’État et du « laissez-faire, laissez-passer » des économistes ; maxime qui a été au reste détournée de son sens primitif, car, au début, ils l’opposaient avec infiniment de raison aux corporations obligatoires et aux douanes intérieures. Si j’ai ou la hardiesse d’esquisser à grands traits ce programme, c’est pour répondre au reproche adressé parfois à mes modestes études, d’étaler les souffrances, de critiquer les remèdes et de conclure à l’inutilité de l’effort. Tout incomplet qu’il puisse paraître, il demeure cependant assez vaste pour tailler besogne à nos législateurs pendant toute la durée de leur mandat. Son seul mérite, si c’en est un, est d’être inspiré par une pensée unique : ne faire intervenir la loi que dans l’intérêt de l’hygiène, de la morale ou de la faiblesse évidente et pour tout le reste