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de la pyramide sociale, on peut, sans malveillance, dire que les jurisconsultes de Napoléon, héritiers directs des légistes de l’ancien régime, ne s’en inquiétaient pas beaucoup. Toute notre législation civile porte la trace de cette négligence et de cet oubli. Un éminent professeur à la faculté de droit, M. Glasson, a développé ce point de vue avec beaucoup de force et d’autorité, dans une communication à l’Académie des sciences morales et politiques sur le code civil et la question ouvrière. Je ne voudrais pas le suivre dans tous les développemens que le sujet comporte, je me bornerai à éclairer ce que je veux dire par quelques exemples. C’est ainsi, par exemple, que l’article 2101 du code civil, qui a compris les domestiques au nombre des créanciers privilégiés pour les gages de l’année échue et pour ceux de l’année courante, n’a point placé au même rang les ouvriers créanciers de leurs salaires. Trente ans plus tard, la loi de 1838 sur les faillites a comblé cette lacune, mais très incomplètement, car elle n’a accordé le rang de créancier privilégié aux ouvriers qu’en cas de faillite et seulement pour le mois qui a précédé la déclaration ; de telle sorte que, s’il s’agit d’un patron en déconfiture, ou d’une société civile en liquidation (la plupart des exploitations minières sont en société civile), ce privilège ne s’exerce pas. Il y a là une lacune pure et simple de la loi qu’il est urgent de combler par une addition à l’article 2101. Au rang des créanciers privilégiés, il faudrait encore admettre les caisses de retraite alimentées par les cotisations des ouvriers lorsque le patrimoine de ces caisses se serait trouvé confondu avec celui des compagnies ou du patron. Cette mesure de prudence empêcherait le retour de faits douloureux.

Dans ce même ordre d’idées, j’indiquerai comme une mesure qui s’impose également la nécessité de protéger le salaire de la femme contre les dilapidations du mari et de lui assurer au contraire un privilège sur le salaire du mari lorsque celui-ci le dissipe en dehors de la famille, et cela sans contrat de mariage dans le premier cas, sans séparation de corps dans le second cas, car de ces deux formalités, la première est inconnue dans les classes pauvres, la seconde est trop coûteuse. J’indiquerai encore l’utilité de protéger contre la saisie du créancier partie du salaire de l’ouvrier. Je dis partie seulement, car il faut prendre garde en enlevant tout gage au créancier de détruire le crédit de l’ouvrier et par là de rendre plus difficiles à passer pour lui les temps de chômage. Mais le code civil n’est pas la seule partie de notre législation qu’il faille revoir dans l’intérêt de l’ouvrier, il y a encore le code de procédure. En accumulant ce qu’on appelait dans l’ancien droit les cautèles, ou si l’on veut les précautions, les auteurs du code ne se sont préoccupés ni des lenteurs qu’ils créaient, ni des frais dont ils