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produire à propos de ces deux grosses questions du travail de nuit des femmes et de la limitation légale des heures de travail. La commission parlementaire qu’on appelle de ce nom déjà menaçant commission de la réglementation du travail, est aujourd’hui saisie de deux projets de loi : l’un présenté par des députés radicaux, ouvriers ou se disant tels, qui siègent à l’extrême gauche ; l’autre par des députés catholiques, jurisconsultes ou hommes du monde, qui siègent à droite. Ces deux projets diffèrent sur quelques points de détail, mais l’esprit qui les a dictés est le même : tous deux sollicitent l’État à intervenir directement dans le contrat du travail et à soustraire les clauses de ce contrat au libre débat entre les parties. Je sais bien que, dans une note récemment communiquée à la presse, les députés catholiques se sont énergiquement défendus contre l’accusation de verser dans le socialisme d’état ; mais jamais on ne vit, je crois, plus frappante application du proverbe : « Qui s’excuse s’accuse[1]. » La coalition des socialistes d’état et des socialistes chrétiens représentera dans le parlement une force considérable, d’autant plus qu’à eux viendront se joindre ceux que je serais tenté d’appeler les socialistes de chambre (chambre des députés s’entend), c’est-à-dire un certain nombre de braves gens qui, indifférens à ces questions ou les ayant peu étudiées, mais croyant que des mesures de cette nature sont populaires, joindront leurs voix à celles de leurs collègues plus convaincus en se disant, pour rassurer leur conscience, « qu’il y a quelque chose à faire et qu’il faut essayer de cela. » Les hommes qui sont à la tête de ce mouvement reçoivent, en ce moment, beaucoup de félicitations. Les collectivistes, voire même les anarchistes, heureux de voir ces chevaux de renfort s’atteler à leur cause, ne les leur épargnent pas, et quelques esprits généreux saluent avec enthousiasme ce premier symptôme d’une réconciliation des classes et d’une communion des partis sous l’espèce du socialisme. Je voudrais beaucoup pouvoir m’associer à cet enthousiasme ; mais si, comme je le crois, le principe commun aux socialistes d’état et aux socialistes chrétiens est un principe faux, si c’est une illusion que de chercher dans des restrictions arbitrairement apportées à la liberté du travail le remède à des maux trop réels ; si enfin, en encourageant cette illusion, on court le risque d’aggraver les maux

  1. La France n’est pas le seul pays où le socialisme chrétien soit en train de capituler devant le socialisme d’état. C’est ainsi qu’au congrès récent d’Olten, dont les délibérations se sont au reste fait remarquer par leur calme et leur maturité, radicaux et catholiques se sont mis d’accord pour demander l’assurance obligatoire, la gestion par l’État de toutes les caisses de retraite ou de secours, la limitation des heures de travail et l’inspection à ce point de vue des ateliers de famille.