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par ces syndicats deviendraient obligatoires dans chaque industrie et une sanction pénale serait attachée à leur violation. C’est à eux qu’il appartiendrait d’imposer la prévoyance contre les accidens, la maladie, la vieillesse et en même temps de gérer les caisses où seraient versés les fonds provenant des cotisations. A eux reviendrait le droit d’imposer aux patrons les mesures de sécurité et d’hygiène nécessaires pour protéger la vie ou la santé des ouvriers. A eux d’intervenir dans les conventions passées entre patrons et ouvriers pour fixer les heures et la durée du travail. A eux enfin, dans un avenir plus ou moins éloigné, d’imposer à la production un maximum qui prévienne l’avilissement des prix par l’excès de l’offre et d’assurer au contraire à l’ouvrier un minimum de salaire qui lui procure une juste aisance. Le tout sous peine d’amende, et, au besoin, de prison. Il y aurait, en un mot, au profit des syndicats mixtes un démembrement véritable de la puissance publique et une abdication partielle de l’État. C’est ainsi que les socialistes chrétiens espèrent arriver à ces restrictions à la liberté qu’ils jugent nécessaires sans augmenter la puissance de l’Etat, puissance dont ils se méfient, non pas seulement par un vieux levain de libéralisme dont, à leur insu peut-être, ils sont encore pénétrés, mais parce que, l’État moderne n’étant pas chrétien, ils ne se soucient pas d’étendre démesurément ses attributions sans savoir l’usage qu’il en ferait.

Théoriquement, et à l’origine, ces deux programmes étaient différens ; mais, par la force des choses, ils tendent de plus en plus à se rapprocher et à se confondre. Il y a en effet, dans les idées abstraites, une logique qui conduit les hommes malgré eux et à laquelle ils n’échappent pas. Du moment qu’on est d’accord pour restreindre la liberté et qu’on ne diffère plus que sur les moyens, il y a grande chance pour que, sur les moyens, l’accord s’établisse également et pour qu’on aille de concert aux plus simples et aux plus sûrs. C’est ce qui est arrivé entre socialistes d’état et socialistes chrétiens. Les socialistes chrétiens sont, je crois, un peu découragés de leurs syndicats mixtes, et ils n’ont pas été insensibles aux nombreuses objections que cette combinaison a soulevées. En tout cas, ils se rendent bien compte qu’avant qu’ils aient coulé toute la société industrielle dans ce moule uniforme, avant que ces syndicats aient pris naissance et force et qu’une part considérable des attributions de la puissance publique leur soit dévolue, un temps fort long pourra s’écouler. Or comme il leur paraît urgent de porter remède à l’action nocive de la liberté, ils n’ont pu résister plus longtemps à la tentation de se rallier aux procédés beaucoup plus expéditifs du socialisme d’état. C’est ce qui est en train de se