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une négociation dont la suite devenait si menaçante pour son ministre, ne s’en montra que plus empressé de la poursuivre. Il laissait même si bien voir ses sentimens, dans une lettre adressée à d’Argenson lui-même ; il y indiquait avec tant de soin la voie à prendre pour continuer l’affaire, quand lui-même serait forcé de quitter Dresde ; enfin, il rappelait avec si peu de ménagemens les causes qui avaient fait échouer la transaction de l’année précédente et qu’il fallait cette fois éviter, que d’Argenson, en recevant ces conseils si peu de son goût, comprit enfin qu’il était joué même par l’ami de Voltaire. Au dos de la copie de la lettre qu’il se fit remettre, on trouve cette note de sa main : « S’il a été envoyé quelque ordre à ce sujet au duc de Richelieu, c’est par quelque lettre du roi dont je n’ai pas eu connaissance[1]. » Ce qui est surprenant, c’est qu’il eût tardé si longtemps à sortir d’illusion.


III

L’orage, en effet, grossissait contre lui d’heure en heure, et il était presque le seul à ne pas l’entendre gronder. Ce n’était plus une conspiration, c’était un siège en règle fait autour du roi, à ciel découvert. Ministres, maîtresse, maréchaux, princes, courtisans en crédit et diplomates étrangers, tous étaient unanimes à l’accuser d’être le seul obstacle à la paix. Le reproche était exprimé dans des-termes souvent contradictoires. De Breda, Puisieulx accusait sa timidité et sa mollesse ; de Dresde, tout à l’opposé, c’était son obstination à braver l’Autriche dont on lui faisait un crime ; mais les paroles étaient différentes, l’air et surtout le refrain étaient les mêmes. Puis, comme il arrive quand les courtisans sentent

  1. Richelieu à d’Argenson, 8 janvier 1747. (Correspondance d’Autriche. — Ministère des affaires étrangères.) — La note de d’Argenson porte la date du 10 janvier, avant-veille de sa révocation. — La dépêche du duc de Richelieu relatant l’entretien de Marie-Thérèse avec le ministre saxon fut-elle transmise à temps à Paris pour avoir été une des causes déterminantes de la chute de d’Argenson ? C’est ce que je n’oserais affirmer. Ce que j’ai tenu à mettre en lumière, c’est le concert d’attaques dirigées contre ce malheureux ministre à la fois de Breda, de Dresde, de Madrid et de Vienne. Parmi ces attaques, quelles sont celles qui ont été suivies d’effet, et y en a-t-il qui se soient trouvées inutiles parce que la chute de d’Argenson qu’elles avaient dessein de provoquer était un fait accompli, quand le roi en put prendre connaissance ? C’est ce qu’il est, je crois, impossible de déterminer avec la lenteur et l’irrégularité des postes à cette époque. Le fait essentiel (la conspiration unanime poursuivie contre d’Argenson du dedans comme du dehors) n’en reste pas moins acquis, et c’est assez pour détruire l’opinion (accréditée par d’Argenson lui-même) qu’il ne fut renvoyé que pour avoir déplu à Mme de Pompadour. À tort ou à raison, par ses qualités, comme par ses défauts, il en était arrivé à déplaire à tout le monde et à n’être plus défendu par personne.