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l’ambassadeur de France a été éconduit. Après avoir pourvu aux nécessités du dehors, il s’adresse à l’opinion publique en Allemagne, pour l’aigrir et la soulever. Le célèbre bureau de l’esprit public souffle à tous ces journaux un langage arrogant et injurieux. Le roi, la nation, disent-ils, ont été outragés ; le pays doit se lever tout entier pour tirer vengeance d’une si grave offense. Des crieurs publics débitent, pendant toute la soirée, de prétendus télégrammes annonçant l’insulte faite au roi, l’insulte faite à l’ambassadeur, pendant qu’en réalité le représentant de la France prend congé du souverain de la Prusse, qui l’accueille, dans cette dernière rencontre comme dans les précédentes, avec sa courtoisie habituelle, dont il n’a aucune raison de se départir. M. de Bismarck ferme ainsi, et il n’a pas d’autre objectif, toutes les voies à un accommodement quelconque.

Il ne dissimulait rien, au surplus, de ses véritables intentions. Depuis son retour de Varzin, sa porte n’avait été ouverte à aucun diplomate : il mordait son frein, et il se refusait à en donner le spectacle. Le 13, il reçut l’ambassadeur d’Angleterre. Il n’y avait en tout ceci, selon le chancelier, qu’un seul coupable : la France. La solution de la question espagnole, dit-il à lord Loftus, ne lui suffit pas ; d’autres réclamations sont soulevées ; il est évident qu’elle recherche une revanche de Kœniggraetz. Le sentiment général en Prusse, en Allemagne, ne souffrira aucune humiliation ; il désapprouve l’attitude conciliante du roi à Ems : « M. de Bismarck, continue l’ambassadeur d’Angleterre en rendant compte de cet entretien, déclara ensuite qu’à moins d’une assurance, d’une déclaration de la France aux puissances européennes, dans une forme officielle, pour reconnaître que la solution actuelle de la question espagnole répond d’une manière satisfaisante à ses demandes et qu’aucune autre réclamation ne sera soulevée plus tard, et si ensuite on ne donne pas une rétractation ou une explication satisfaisante du langage menaçant tenu par le duc de Gramont, le gouvernement prussien sera obligé d’exiger une satisfaction de la part de la France. Il est impossible que la Prusse puisse rester tranquille et pacifique après l’affront fait au roi et à la nation par le langage menaçant du gouvernement français. » Et l’ambassadeur termine sa dépêche en énonçant la conviction, après avoir entendu M. de Bismarck, a que, si quelque influence médiatrice ne réussit pas à exercer une pression sur le gouvernement français, à apaiser l’irritation contre la Prusse et à faire prévaloir la modération, la guerre est inévitable. »

M. de Bismarck était de l’avis de son maître ; il pensait avec lui