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ne rien négliger, au contraire, pour comprimer la rébellion, se tenant, en sa qualité de copartageant, pour solidaire de la Russie dans le présent comme ses prédécesseurs l’avaient été dans le passé. Partageant cette manière de voir et les sentimens de son souverain, M. de Bismarck, dès qu’il eut pris possession du pouvoir, offrit au cabinet de Pétersbourg le concours armé de la Prusse. Ce fut son début, sa première démarche diplomatique. La Russie déclina la proposition ; il répugnait à sa dignité de donner à penser que l’appui d’une puissance voisine lui était nécessaire pour combattre victorieusement l’insurrection polonaise. M. de Bismarck insista cependant et il parvint à lui faire agréer une convention ou ce qu’on a appelé un cartel, pour en dissimuler la portée, en vertu duquel la Prusse livrait aux autorités russes les insurgés qui se réfugiaient sur son territoire. Le but du président du conseil à Berlin était de faire de la Russie l’obligée de la Prusse, prévoyant qu’il aurait prochainement à lui demander le prix de ses services dans l’affaire des duchés. C’est, en effet, dans les duchés de l’Elbe que le nouveau règne se proposait de frapper son premier coup, comme l’avaient laissé pressentir les paroles du roi dans le premier discours qu’il avait prononcé devant la chambre des députés. On sait avec quelle hardiesse M. de Bismarck s’empara de cette question. Il parvint rapidement à la résoudre par la guerre. L’Autriche, n’ignorant rien des véritables intentions de la Prusse, dut, pour y mettre obstacle, s’associer à l’agression dirigée contre les possessions danoises. En dépit du traité conclu à Londres en 1852, garantissant l’intégrité du Danemark, et grâce à l’abstention, sinon à la connivence de la Russie, le Holstein et le Slesvig furent successivement envahis et occupés. Les puissances s’alarmèrent et firent à Berlin des représentations réitérées. Des publicistes justement considérés[1] éveillèrent l’attention de la presse et de l’opinion en dénonçant le gouvernement prussien comme l’unique perturbateur de la paix de l’Europe. Devant ces manifestations, et contre l’avis de son premier ministre, le roi jugea qu’il s’exposerait à un isolement périlleux en marquant davantage ses vues ambitieuses. M. de Bismarck dut se résigner à négocier, de concert avec le cabinet autrichien, et l’on signa à Vienne la convention du 30 octobre 1864, par laquelle le Danemark cédait les duchés à la Prusse et à l’Autriche, qui en devenaient, au même titre, les légitimes possesseurs. La communauté de possession, source féconde de conflits faciles à susciter, convenait à M. de Bismarck, qui en avait fait la proposition. Bientôt on en comprit à Vienne tous les

  1. Voir notamment deux publications de M. Dechamps, ministre d’état belge et ancien ministre des affaires étrangères ; Bruxelles, 1865.