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rapide ; il manifestait une confiance entière dans un succès que l’Europe subirait dès qu’il serait acquis. Il ne ménageait pas son maître, lui reprochant sa timidité qui n’était, en réalité, qu’une sage et habile circonspection, un sentiment éminemment politique. Le roi se prêtait en effet à tous les stratagèmes destinés à rendre inévitable la guerre avec l’Autriche ; mais il la voulait à son heure et quand il lui serait permis d’en rejeter la responsabilité, sinon l’initiative, sur la cour de Vienne, quand il n’aurait plus à redouter la malveillance des grandes puissances et le jugement de l’opinion publique. Aussi prenait-il soin de se dérober, de dégager sa personnalité de toutes les compromissions que son ministre assumait volontiers. Il gardait un silence impénétrable. Quand il le rompait, dans ses rares entretiens avec les diplomates accrédités à sa cour, il répudiait, avec sa douce affabilité, toute pensée belliqueuse, toute intention de troubler la paix de l’Europe.

Ainsi, tandis que le souverain affectait de redouter une rupture, ne faisant cependant aucune concession pour la conjurer, autorisant, au contraire, son ministre à multiplier ses efforts pour la faire éclater, M. de Bismarck ne dissimulait à personne qu’il voulait engager le conflit armé sans autre préoccupation que de combattre et de vaincre, sans s’inquiéter de l’attitude des puissances, ni du jugement de l’opinion publique. Il s’accréditait ainsi que le roi était pacifique, que seul le ministre était belliqueux. Cette conviction, propagée par la presse qui savait tout de M. de Bismarck, qui ne savait rien du roi, se répandait en Europe, et quand les événemens s’accomplirent, on n’y vit que la main du ministre ; le souverain, cantonné dans sa modération apparente, ne parut y avoir pris qu’une part involontaire. Dans aucune occasion, devons-nous ajouter, Guillaume Ier ne se montra jaloux du renom qui s’attachait au président du conseil. Il convenait à sa nature et il entrait dans ses calculs de laisser au compte du ministre l’initiative et la responsabilité des résolutions violentes ; il se réservait ainsi la faculté de le désapprouver si les circonstances venaient à l’exiger ; il lui suffisait d’être certain que les bénéfices en resteraient acquis à son règne et à sa dynastie. Mais interrogeons les faits et voyons ce qu’ils enseignent.

Nous avons dit que le roi, alors qu’il n’exerçait encore que les pouvoirs de prince-régent, avait affirmé, en ouvrant la session législative, le 12 janvier 1859, sa ferme volonté de réorganiser l’armée ou plutôt d’en augmenter la puissance. Dans le même discours, il témoigna de ses sympathies pour les Allemands des duchés de l’Elbe, et ses paroles furent saluées par les applaudissemens de toute l’Assemblée. Dès ce moment il laissait pressentir le principe et l’orientation de la politique qui a illustré son règne. En arrivant