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relations d’une entière cordialité. Et cela est, en quelque sorte, l’œuvre personnelle de M. de Bismarck. Pour la paix, comme pour la guerre, il a ainsi marqué sa place dans l’histoire à des sommets restés inaccessibles à tous ses contemporains. L’Allemagne lui rend, à juste titre, l’hommage que la France rend à Richelieu depuis bientôt trois siècles. Mais on ne serait plus équitable si, en faisant la part du ministre, on refusait au souverain celle qui lui revient. On serait inique si, obéissant à des courans factices, on assimilait absolument Guillaume Ier à Louis XIII, lequel d’ailleurs fut un prince éminent dans la mesure et avec les aptitudes de son caractère. Comme le fils de Henri IV, mais à un plus haut degré, le futur empereur d’Allemagne a eu un mérite toujours précieux chez un chef d’état, celui de n’accorder sa confiance qu’à des hommes qui en étaient dignes. Avant lui, les généraux de Moltke et de Roon étaient des officiers distingués ; mais ils étaient dans le rang, si nous pouvons ainsi dire : appréciant à leur immense valeur leurs qualités respectives, le roi, de son initiative personnelle, et avant d’avoir appelé M. de Bismarck auprès de lui, remit à l’un l’état-major de l’armée, à l’autre le ministère de la guerre. On sait les glorieux services qu’ils ont rendus ; ces choix disent plus haut que nous ne pourrions le faire, de quelle merveilleuse pénétration le souverain était doué.

Nous avons vu à quel moment et sous l’empire de quelles préoccupations le roi confia à M. de Bismarck la présidence du conseil. Nous en avons conclu que cette détermination devait être attribuée à l’entière concordance de leurs vues respectives et à leur entente parfaite sur les moyens propres à en assurer le triomphe. Le roi, en effet, n’a pas abdiqué, comme on le pense généralement, entre les mains de son nouveau conseiller, et on ne saurait revendiquer, au profit exclusif de M. de Bismarck, la gloire des succès obtenus. Les diplomates qui ont suivi de près les événemens de cette époque savent que le roi n’a cessé, à aucun moment, de diriger les actes de son gouvernement. Il n’était jamais pris une résolution, fait une communication diplomatique, que par son ordre et sous son contrôle. Il ne partait pas une dépêche importante sans qu’elle lui lût soumise, et souvent elle ne partait qu’amendée par lui. M. de Bismarck, si l’on veut, a été l’initiateur des résolutions hardies, le roi en a toujours été le modérateur : l’un se confiait à sa témérité, l’autre prenait conseil de sa prudence. Ce dissentiment s’est prolongé jusqu’à la guerre de 1866, et, pendant cette longue période, l’Europe n’a entendu que la voix de M. de Bismarck. Le frein, que le roi serrait au besoin, irritait profondément le ministre et sa colère s’épanchait en éclats retentissans. Sans se renfermer dans les limites de son intimité, il exposait ses plans ; il développait les considérations qui commandaient une action prompte,